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21/08/2018

Peine de mort : le pape François altère le Catéchisme

Lettre pape maria asuncion mila.jpeg

   Les faits

   Jusqu'au 2 août 2018, voici ce qu'affirmait le § 2267 du Catéchisme de l’Église catholique à propos de la peine de mort :

   "L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains.
   Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine.
   Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’Etat dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable " sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants " (Evangelium vitae, n. 56)."

   Le 2 août dernier, le rescrit Ex Audentia SS.mi fait l'annonce suivante :

   "Le souverain pontife François, dans l'audience accordée le 11 mai 2018 au préfet soussigné de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a approuvé le nouveau projet de loi no. 2267 du Catéchisme de l'Église catholique, en faisant en sorte qu'elle soit traduite dans diverses langues et insérée dans toutes les éditions du Catéchisme susmentionné."

   Voici la nouvelle version du § 2267 :

   « Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée à la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.
   Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.
   C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que ’’la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne’’ et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. »

   Le Cardinal Ladaria, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, accompagne le rescrit d'une lettre qu'il adresse aux évêques. Dans celle-ci, il entend justifier ce virage dans l'enseignement de l’Église, en s'appuyant notamment sur certaines déclarations antérieures du pape François :

   "Dans cette même perspective, le Pape François a rappelé que « de nos jours, la peine de mort est inadmissible, quelle que soit la gravité du délit commis par le condamné ». Quels qu’en soient les modes d’exécution, cette peine « implique un traitement cruel, inhumain et dégradant ». En outre, on doit s’y opposer « face au défaut d’appréciation du système judiciaire et à la possibilité de l’erreur judiciaire ». Dans cette optique, le Pape François a demandé une révision de la formulation du Catéchisme de l’Église Catholique sur la peine de mort, de manière à affirmer que «quelle que puisse être la gravité de la faute commise, la peine de mort est inadmissible, car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne»." (§ 6 de la lettre)

   Une trahison de la doctrine catholique

   Notez bien la différence doctrinale entre la version publiée sous Jean-Paul II et celle voulue par François : la première mouture du § 2267 rappelle le principe énoncé par l'enseignement traditionnel de l’Église, pour en restreindre ensuite le champ d'application. Tout autre est le nouveau paragraphe, qui condamne la peine de mort dans son principe même : « l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que ''la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne''. »

   Eh bien, non, l’Évangile n'a pas un seul mot contre la peine de mort et l’Église n'enseigne pas cela. C'est François qui l'enseigne. La seule référence par lequel il justifie ce nouveau positionnement est tirée de ses propres discours. C'est tout de même un peu maigre ! François ne constitue pas l’Église à lui tout seul ! Rappelons à l'inverse ce qu'enseignait Innocent III dès 1210 :

   "Au sujet du pouvoir séculier, nous affirmons qu'il peut, sans péché mortel, exercer un jugement portant effusion de sang, pourvu que, pour exercer la vindicte, il ne procède pas par la haine mais par un jugement, ni avec imprudence mais avec modération." (Denzinger, § 795)

   Au début du XXe siècle, même son de cloche dans le Catéchisme de saint Pie X :

   "Il est permis de tuer son prochain quand on combat dans une guerre juste ; quand, par ordre de l'autorité suprême, on exécute une condamnation à mort, châtiment de quelque crime, et enfin quand on est en cas de nécessaire et légitime défense contre un injuste agresseur." (Grand Catéchisme, Troisième partie, chapitre 3, § 2)

   Et le cinquième commandement ?

   Le cinquième commandement, οὐ φονεύσεις (Exode XX, 13), qu'il vaudrait mieux traduire « tu ne commettras pas de meurtre » que « tu ne tueras pas », ne s'applique pas à la peine de mort. La meilleure preuve en est que dans le même discours où Dieu donne à Moïse ce cinquième commandement, il lui fait également les recommandations suivantes :

   « Quiconque frappe quelqu’un et cause sa mort sera mis à mort. S’il ne l’a pas traqué mais que Dieu l’a mis à portée de sa main, je te fixerai un lieu où il pourra se réfugier. Mais si un homme va jusqu’à en tuer un autre par ruse, tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il soit mis à mort. Qui frappe son père ou sa mère sera mis à mort. Qui enlève un homme — qu’il l’ait vendu ou qu’on le trouve en sa possession — sera mis à mort. Qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. » (Exode XXI, 12-17)

   Dans sa Somme théologique, saint Thomas d'Aquin légitime lui-même la peine de mort par les termes suivants :

   « Nous venons de dire que la mise à mort d'un malfaiteur est permise en tant qu'elle est ordonnée à la sauvegarde de la société. C'est pourquoi elle appartient à celui-là seul qui pourvoit au bien commun de la société, de même que l'ablation d'un membre corrompu revient au médecin auquel on a confié la santé du corps tout entier. Or le soin du bien commun est confié aux princes qui détiennent l'autorité publique. C'est donc à eux seuls et non aux particuliers qu'il revient de mettre à mort les malfaiteurs. » (IIa IIae, question 64, article 3, conclusion)

   Au XVIe siècle, le Catéchisme du Concile de Trente soutient que la peine de mort ne constitue pas une infraction au cinquième commandement :

   "Il est permis aux magistrats de faire mourir les hommes mêmes. Car Dieu leur ayant donné pouvoir de vie et de mort sur eux, ils ont droit, selon les lois, de faire punir les méchants, et de protéger les innocents. Ainsi lorsque la justice les oblige de condamner un homme à la mort, non seulement ils ne violent point ce commandement, et ne sont point coupables d'homicide ; mais au contraire ils témoignent en cela qu'ils y sont parfaitement soumis. Et en effet comme la fin de ce commandement est de conserver la vie des hommes, les magistrats qui sont les justes vengeurs des crimes, ne tendent aussi par les divers supplices auxquels ils condamnent les criminels, qu'à faire que l'audace et l'injustice des méchants étant réprimée par la crainte des supplices, la vie des hommes soit en sûreté." (Catéchisme du Concile de Trente, traduction nouvelle, troisième édition, Paris, André Pralard, 1686)

   Au XVIIIe siècle, saint Alphonse de Liguori, une référence classique de la théologie morale, ne tient pas un langage différent sur la question :

   "Les princes et les juges ont le droit et même le devoir de condamner les malfaiteurs à la mort qu'ils ont méritée, et les bourreaux sont obligés d'exécuter la sentence. C'est Dieu lui-même qui veut que les coupables soient punis." (Instruction au peuple, in Oeuvres complètes de S. Alphonse de Liguori, tome 16, traduit de l'italien par Léop.-J. Dujardin, Tournai, Casterman, 1877, p. 491-492)

   On peut donc conclure qu'il existe en faveur de la peine de mort une tradition doctrinale catholique ininterrompue pendant des siècles… jusqu'au 2 août dernier.

   Un « développement » doctrinal ???

   Pour justifier ce qu'il faut bien appeler une rupture sans précédent, le Cardinal Ladaria, qui n'est apparemment pas jésuite pour rien, la qualifie dans sa lettre aux évêques de « développement ». Il ne le fait pas moins de cinq fois (§ 1, 3, 7, 8), un peu comme si le fait de répéter ce mot allait le rendre plus vrai. Le huitième paragraphe constitue le point d'orgue de ce processus incantatoire :

   "All of this shows that the new formulation of number 2267 of the Catechism expresses an authentic development of doctrine that is not in contradiction with the prior teachings of the Magisterium."
   "Tout ceci montre que la nouvelle formulation du numéro 2267 du Catéchisme exprime un développement authentique de la doctrine qui n'est pas en contradiction avec les enseignements antérieurs du Magistère."

   Sachant que le nouveau paragraphe voulu par François contredit très exactement l'enseignement pérenne de l’Église sur la question, il fallait tout de même oser écrire une telle énormité ! Il peut bien sûr exister des développements de la doctrine catholique au cours des siècles, mais à condition que les nouveaux enseignements n'entrent pas en opposition flagrante avec ce que l’Église a professé auparavant. Sans quoi nous nous trouvons face à cet évolutionnisme théologique que le pape saint Pie X a condamné aux § 32 à 38 de son encyclique Pascendi Dominici gregis, et le pape Pie XII au § 30 de l'encyclique Humani Generis.

   Pourquoi une telle trahison ? Quels en sont les enjeux ?

   Un pied de nez à Benoît XVI ?

   Le maître d’œuvre du Catéchisme de l’Église catholique n'est autre que le Cardinal Joseph Ratzinger lui-même, devenu Benoît XVI par la suite. Cet ouvrage ne semble avoir connu aucune modification depuis la publication de l'édition latine de référence, le 15 août 1997. La récente « correction » effectuée par le Pape François, du vivant même de Benoît XVI, et qui plus est pour adultérer un pan de la doctrine catholique, constitue donc un geste extrêmement fort, un geste qui n'est pas précisément marqué au coin du tact et de la délicatesse.

   Quoique anecdotique en regard des autres enjeux, cet aspect de la question méritait d'être signalé.

   Adapter un peu plus l'enseignement de l’Église aux droits de l'homme

   Avez-vous remarqué à quel point certaines phrases du rescrit du Cardinal Ladaria et de la lettre aux évêques qui l'accompagne aurait pu être écrit par les militants d'Amnesty International ? Le tableau ci-dessous vous permettra de le constater par vous-même :

Discours d'Amnesty International

Discours de Ladaria et de François

« Aucun crime ne peut justifier la peine de mort » (source)

« La personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. » (nouveau § 2267 du catéchisme)

 

« De nos jours, la peine de mort est inadmissible, quelle que soit la gravité du délit commis par le condamné » (lettre aux évêques)

« Un ensemble d’études faisant autorité commandées par les Nations unies dans diverses régions à travers le monde ont même conclu à de nombreuses reprises que la peine de mort n’avait pas un effet plus dissuasif en matière de criminalité qu’une peine d’emprisonnement. » (source)

« On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. » (nouveau § 2267 du catéchisme)

« La peine de mort prive une personne de la possibilité d’expier un forfait, de réparer, de se repentir et de s’amender. » (source)

« La peine de mort et la torture sont la négation absolue de la dignité humaine. » (source)

« La peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne » (nouveau § 2267 du catéchisme)

« Amnesty International s’engage dans le monde entier et sans exception pour son abolition. » (source)

« L’Église s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. » (nouveau § 2267 du catéchisme)

« La peine de mort est cruelle, inhumaine et dégradante. » (source)

« Cette peine « implique un traitement cruel, inhumain et dégradant ». (lettre aux évêques)

« Les erreurs judiciaires et les jugements erronés ne peuvent jamais être totalement exclus. » (source)

« On doit s’y opposer « face au défaut d’appréciation du système judiciaire et à la possibilité de l’erreur judiciaire ». (lettre aux évêques)

    Vous l'aurez compris, le nouveau paragraphe du Catéchisme ressemble à s'y méprendre à un simple copier-coller de l'argumentaire d'Amnesty International (nous verrons plus loin que cette ressemblance ne relève absolument pas du hasard). Certes, on pouvait déjà identifier des points communs dans l'ancienne version, mais la modification récente n'a fait qu'aggraver les choses. « L’Église n'est pas une ONG », a dit un jour François. Force est pourtant de constater qu'elle n'y a jamais autant ressemblé…

   En quoi est-ce problématique ? En ce que l'enseignement de l’Église se conforme de plus en plus à la mentalité droit-de-l'hommiste. Cette conformité s'avère gênante dans la mesure où les droits de l'homme (la déclaration de 1789 tout comme celle de 1948) ne constituent rien d'autres, en leur fond, que le nouveau « texte sacré »1 de l'homme auto-proclamé dieu, texte luciférien car censé remplacer par des droits humains les dix commandements divins2. À telle enseigne que le pape Pie VI les a qualifiés de « contraires à la religion » dans son encyclique Adeo Nota (1791).

   L’Église prise au piège du langage de l'ennemi

   François change le catéchisme sur la peine de mort. Cette rupture sans précédent avec la doctrine catholique traditionnelle résulte de la fâcheuse tendance qu'ont eu les papes de ces dernières décennies à adopter la langue des droits de l'homme, pourtant « contraires à la religion ». Peut-être par souci d'intelligibilité, Jean-Paul II s'est ainsi senti obligé de condamner l'avortement, non pas au nom du seul Décalogue, mais aussi en se référant aux « droits humains » (§ 5, 18, 19) et à un certain « droit à la vie ». Cette expression revient sans cesse sous la plume du pape polonais dans l'encyclique Evangelium vitae (§ 18, 20, 57, 72, 91, 93, 101). Où l'a-t-il trouvée ? Nulle part ailleurs qu'à l'article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948. Cette notion demeure tout simplement absente de la doctrine catholique traditionnelle (voir notamment ici).

    Tous les pro-vies de la planète ont emboîté le pas à Jean-Paul II, estimant très intelligent sur le plan stratégique de retourner à l'ennemi ses propres arguments, même si l'on peut douter que cette tactique ait jamais sauvé un seul enfant à naître. Le « droit à la vie » est donc devenu le slogan incontournable de toute une génération anti-avortement. Et quelques vingt-cinq ans après Evangelium vitae, voilà le catholicisme empêtré dans l'étendard qu'il a si longtemps brandi : le pape trahit la doctrine catholique au nom d'une notion empruntée aux droits de l'homme ! Vous voulez une confirmation de cette analyse ? Lisez la lettre aux évêques qui accompagne le rescrit modificateur. Comme par hasard, l'encyclique Evangelium vitae y constitue la référence indépassable (cf. § 3 et 7), censée fermer la bouche à tous les éventuels contradicteurs !

   Entendons-nous bien : oui, il fallait combattre l'avortement, et il le faut encore ! Mais cessons de nous cacher derrière des paravents laïcs. Le fondement de notre opposition à ce crime réside dans le cinquième commandement de Dieu : « Tu ne commettras pas de meurtre. » Arrêtons d'invoquer un « droit à la vie » qui reste ambigu et qui ne peut que se retourner contre nous dans le cas de l'euthanasie. En effet, tout droit en contient en lui-même un autre : celui de renoncer à ce même droit. Par exemple, le droit de vote implique la liberté de rester chez soi le jour des élections. De même, si l'individu a un « droit à la vie », il a nécessairement le droit de renoncer à ce droit à la vie… Avec cela, allez vous battre contre l'euthanasie au nom des droits de l'homme !

   Quand le Pape obéit aux ONG

   Concrètement, comment en est-on arrivé à la modification du catéchisme ? C'est une histoire espagnole. Depuis le pontificat de Paul VI, María Asunción Milá de Salinas avait pris l'habitude d'écrire aux différents papes pour obtenir une modification de l'enseignement catholique sur la peine de mort (source). Cette aristocrate née en 1919 a été longtemps membre actif d'Amnesty International, dont elle a même occupé la vice-présidence. Elle a cependant pris ses distances avec l'ONG lorsque cette dernière s'est déclarée favorable à l'avortement (voir ses explications ici). Un mois après l'accession du cardinal Bergoglio au souverain pontificat, elle lui envoie donc une lettre dont voici deux extraits :

   "De Séville et à l'âge de 93 ans, je viens vous supplier pour les plus pauvres parmi les pauvres, pour ceux qui, dans le couloir de la mort de nombreux pays, attendent qu'on leur enlève la dernière chose qu'ils ont, qui est la vie."
   "Nous demandons et supplions que soient retirée du catéchisme la légitimité qu'il confère à cet homicide, qui, puisque il est un acte programmé, légalisé et avec son propre rituel, est dépourvu des circonstances qui permettraient de le considérer comme un acte de légitime défense."

   Cette demande n'est pas immédiatement prise en compte. Toutefois, le 20 mars 2015, le Pape François adresse une lettre à Federico Mayor, Président de la Commission internationale contre la peine de mort. Il y déclare que la peine capitale « est inadmissible, quelle que soit la gravité du délit du condamné. » Une semaine plus tard, le 27 mars, il adresse à María Asunción Milá la lettre suivante :

   "Chère Madame,
   Merci pour votre lettre. Je vous remercie pour le témoignage de votre lutte contre la peine de mort.
   Je prends en compte ce que vous dites sur le Catéchisme et je demanderai que le changement soit étudié.
   Je vous souhaite une heureuse et sainte fête de Pâques. Que Jésus vous bénisse, que la Sainte Vierge prenne soin de vous, et, s'il vous plaît, je vous demande de prier pour moi.
Cordialement,
François"

   María Asunción Milá est aux anges. Le 16 avril 2015, elle envoie à François les remerciements suivants :

   "Cher Pape François,
   Pendant deux ans, j'ai cherché avec persévérance à ce que ma supplique vous arrive, parce que j'avais confiance que j'y parviendrais, et aujourd'hui, tout émue et reconnaissante de votre réponse, je rends grâce à Dieu d'y être parvenue.
   Heureusement, je ne doute plus de ce « changement » dans le Catéchisme, après avoir lu la lettre que vous avez envoyée à la « Commission internationale contre la peine de mort », puisque les qualificatifs que l'on y trouve employés pour caractériser ce meurtre légal rendent impossible sa légitimité.
   Aujourd’hui, je rêve que ce changement se produise dans le cadre d'un acte solennel, comme un témoignage fort devant le monde du rejet de la culture de mort.
   Merci, Pape François, merci pour votre proximité, merci pour votre humilité exemplaire, merci pour cette lettre qui m'a tant émue.
   Que le Seigneur vous bénisse et vous aide toujours.
   Avec toute mon affection et tout mon respect.
María Asunción Milá de Salinas"

   Le jeudi 2 août dernier, la Secrétaire de la Communication extérieure du Vatican téléphone à la vieille dame pour lui annoncer personnellement le changement effectué dans le Catéchisme (source).

   Un ballon d'essai

   L'histoire ne s'arrête pas là. Elle ne fait même que commencer. Ceux qui ont compris que François travaille à un changement radical dans l’Église ne verront pas dans cet événement une initiative isolée.

   Réfléchissez un peu.

   Cette modification du catéchisme a lieu un 2 août, au moment où les catholiques sont le moins attentifs à l'actualité ecclésiale. En outre, il concerne un thème qui, après des années de propagande droit-de-l'hommiste, fait relativement consensus. Difficile, sans passer pour un vilain fasciste, un affreux nostalgique des heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, de risquer une critique sur cette trahison doctrinale.

   Vous comprenez ?

   Prudemment, en prenant des risques limités, le pape tâte le terrain : comment le clergé, comment les catholiques vont-il réagir à cette rupture ? Si l'expérience est concluante (et lorsqu'on voit le peu de réactions, il semble déjà qu'elle le soit), soyez assurés que nous assisterons bientôt à d'autres « corrections » du catéchisme.

   Voici l'une d'entre elles.

   Le § 2358 du Catéchisme de l’Église catholique présente la tendance homosexuelle comme « objectivement désordonnée ». Objectivement désordonnée. Pour certains, ce sont deux mots de trop, qui doivent disparaître du Catéchisme. Parmi eux, le jésuite James Martin, qui prétend « bâtir un pont entre l'Eglise et la communauté LGBT », pour reprendre le titre d'un livre qu'il a récemment publié. Malgré ses conviction pro-gay bien connues, James Martin a été nommé consultant au service de communication du Vatican en 2017. Son livre a été applaudi par au moins deux prélats à qui le pape a confié des responsabilités importantes : Kevin Farrell et Joseph Tobin, tous deux nommés cardinaux par François. Le pape lui-même, pour son Carême 2018, a choisi comme prédicateur un certain José Tolentino de Mendonça, prêtre portugais qui a préfacé avec enthousiasme un livre au titre évocateur : Nous sommes tous différents, pour une théologie queer, d'une certaine Sœur María Teresa Forcades. En mai dernier, le pape s'est adressé en ces termes à un homosexuel : « Dieu t'a fait ainsi et il t'aime ainsi. »3 Etc, etc, etc... Croyez-vous vraiment que François ait envie de résister à des revendications sur cette question ?

   Et justement, les revendications n'ont pas tardé : le lendemain du jour où le pape a changé l'enseignement de l’Église sur la peine de mort, un collectif LGBT prétendument catholique a réclamé une modification du catéchisme sur l'homosexualité, arguant du tout récent changement de doctrine sur la peine de mort. La boîte de Pandore est désormais bien ouverte...

 

NOTES :

1 Expression du franc-maçon Jacques Fontaine. Cf. MARTIN, Antoine, Le Chant dans la fournaise, Paris, Kontre Kulture, 2015, p. 33.

2 Cf. MARTIN, Antoine, La Chute des astres, Paris, Kontre Kulture, 2017, p. 113-118.

3 Sachant que la personne en question a été agressée sexuellement par un prêtre dans sa jeunesse, et que son homosexualité provient peut-être de ce traumatisme, ces propos de la part du pape laissent songeurs : bévue monstrueuse ou cynisme absolu ?

18/07/2018

Scalfari, le pape et l'Enfer : retour sur une manipulation

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   Voilà au moins un titre qui mettra tout le monde d'accord. En effet, de même que tout le monde s'entend pour affirmer que les attentats du 11 septembre 2001 constituent un complot, de même tout le monde semble d'accord pour reconnaître que l'affaire des propos de François sur l'Enfer relève de la manipulation. Dans les deux cas, toute la question est de savoir de la part de qui… Commençons par rappeler les faits.

   L'article de Scalfari

   Le mercredi 28 mars 2018 (mercredi saint dernier), paraissent dans le journal italien La Repubblica des propos curieux attribués au pape François par le journaliste Eugenio Scalfari (l'article original est ici). Ce dernier n'est rien d'autre que le fondateur du prestigieux quotidien, qui, selon Wikipédia, constitue « le deuxième journal le plus vendu en Italie après le Corriere della Sera ». Né en 1924, l'athée Eugenio Scalfari, s'il n'est plus de première jeunesse, n'en apporte pas moins très régulièrement sa contribution au journal qu'il a fondé.

   Voici les propos prêtés au pape par Scalfari, au moment où leur entretien roulait sur les âmes pécheresses :

« Non vengono punite, quelle che si pentono ottengono il perdono di Dio e vanno tra le fila delle anime che lo contemplano, ma quelle che non si pentono e non possono quindi essere perdonate scompaiono. Non esiste un inferno, esiste la scomparsa delle anime peccatrici».
« Elles ne sont pas punies : celles qui se repentent obtiennent le pardon de Dieu et rejoignent les rangs des âmes qui le contemplent, mais celles qui ne se repentent pas, et qui ne peuvent donc pas être pardonnées, disparaissent. L'enfer n'existe pas, ce qui existe, c'est la disparition des âmes pécheresses. »

   Peut-être ne vous aura-t-il pas échappé que ces propos entrent en contradiction flagrante avec l'enseignement de l’Église, qui affirme l'existence d'un enfer éternel1. Évidemment, de telles déclarations n'ont pas manqué de faire des remous dans les médias. On notera aussi la date éminemment symbolique de leur parution : mercredi saint, soit la veille du jour où l’Église entre dans le triduum pascal pour célébrer le salut qui nous est donné en Jésus-Christ mort et ressuscité pour nous. Les propos du pape posent donc le problème suivant : si nous ne courons aucun danger de damnation, de quoi le Christ vient-il nous sauver ? Pour quelle raison Dieu lui-même a-t-il pris la peine de s'incarner et de mourir sur une croix ? À y bien réfléchir, de tels propos, dans la bouche du pape, à la date à laquelle ils ont été publiés, sonnent comme un ignoble blasphème.

   Le communiqué de la Sala Stampa

   Le lendemain, jeudi 29 mars (Jeudi Saint), la Sala Stampa du Vatican publie ce communiqué laconique :

« Il Santo Padre Francesco ha ricevuto recentemente il fondatore del quotidiano La Repubblica in un incontro privato in occasione della Pasqua, senza però rilasciargli alcuna intervista. Quanto riferito dall’autore nell’articolo odierno è frutto della sua ricostruzione, in cui non vengono citate le parole testuali pronunciate dal Papa. Nessun virgolettato del succitato articolo deve essere considerato quindi come una fedele trascrizione delle parole del Santo Padre. »
« Le Saint Père François a récemment reçu le fondateur du quotidien La Repubblica dans un entretien privé à l'occasion de la fête de Pâques, sans cependant lui accorder aucune interview. Tout ce que l'auteur mentionne dans l'article d'hier est le fruit de sa propre reconstruction, dans laquelle ne sont pas citées les paroles qu'a textuellement prononcées le Pape. Aucune citation entre guillemets de l'article mentionné plus haut ne doit donc être considérée comme une transcription fidèle des paroles du Saint Père. »

   Un incident clos ?

   Une fois publié ce communiqué, les catholiques ont cru pouvoir pousser un soupir de soulagement. Le pape n'a donc pas nié l'existence de l'enfer ! Il s'est juste fait avoir par un journaliste. À moins que ce dernier n'ait simplement été la victime d'un défaut de mémoire. Pensez donc ! Quand on approche de cent ans... C'est ce qu'ont soutenu Aleteia et la Croix, pour s'en tenir à deux exemples. Pour rassurer leur lecteur, ces deux organes de presse ne se sont pas fait faute de rappeler l'âge de Scalfari, mais aussi de mentionner de précédents épisodes au cours desquels la parole du pape aurait été déformée par ce dernier.

   Mais c'est précisément là que le bât blesse : ce qui est arrivé lors de la dernière Semaine sainte ne constitue pas un dérapage isolé. Rappelons les précédents :

   1) PREMIER ENTRETIEN

   -Le 1er octobre 2013, Eugenio Scalfari fait publier en français dans son journal un entretien qu'il a eu avec François. En voici quelques lignes au parfum relativiste, qui n'ont pas manqué de troubler certains catholiques :

Le Pape sourit et me dit :"Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m'ont averti que vous allez essayer de me convertir."
A ce trait d'esprit, je réponds : mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit.
Il sourit et répond :"Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n'a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s'écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m'arrive qu'après une rencontre j'ai envie d'en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s'imposent. C'est cela qui est important : se connaître, s'écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l'important c'est qu'elles conduisent vers le Bien."
Votre Sainteté, existe-t-il une vision unique du Bien ? Et qui en décide ?
"Tout être humain possède sa propre vision du Bien, mais aussi du Mal. Notre tâche est de l'inciter à suivre la voie tracée par ce qu'il estime être le Bien."
Votre Sainteté, vous-même l'aviez écrit dans une lettre que vous m'avez adressée. La conscience est autonome, disiez-vous, et chacun doit obéir à sa conscience. A mon avis, c'est l'une des paroles les plus courageuses qu'un Pape ait prononcée.
"Et je suis prêt à la répéter. Chacun a sa propre conception du Bien et du Mal et chacun doit choisir et suivre le Bien et combattre le Mal selon l'idée qu'il s'en fait. Il suffirait de cela pour vivre dans un monde meilleur."
« […] Et moi, je crois en Dieu. Pas dans un Dieu catholique, car il n'existe pas de Dieu catholique, il existe un Dieu. »

   -Le mercredi 2 octobre 2013, le Père Lombardi, porte-parole du Vatican, précise que cet entretien « ne constitue pas un document magistériel ».

   -Le samedi 5 octobre 2013, le Père Rosica, porte-parole du Vatican en langue anglaise, révèle que « Scalfari n'a pas enregistré l'entretien et n'a pas pris de notes à ce moment-là, et qu'il s'agit donc d'une reconstruction après coup ».

   -Le 19 novembre 2013, on apprend que l'interview a été retirée du site du Vatican. Le Père Lombardi précise que « cet entretien  est fiable dans son sens général, mais pas dans ses formulations concrètes (NDLR : sens de cette allégation ???)  : pour cette raison,  il a été considéré que le texte ne pouvait plus être consulté sur le site internet du Saint-Siège. »

   -Aujourd'hui, l'interview est accessible en six langues sur le site du Vatican, qui rappelle au passage qu'elle avait fait l'objet d'une publication dans l'Osservatore Romano dès le 2/10/2013.

   Quel cirque !

   2) DEUXIÈME ENTRETIEN

   -Dimanche 13 juillet 2014, Scalfari publie une nouvelle interview dans La Repubblica. On y trouve des propos assez légers sur le thème de la pédophilie dans l’Église, des paroles tendancieuses sur la liberté de conscience et sur les prêtres mariés.

   -Très rapidement après, La Repubblica publie une mise au point du père Lombardi sur la manière de lire cette interview qui, selon lui, n'en est pas vraiment une (extraits en français de l'un et l'autre textes ici).

   -le 6 mai 2015, la maison d'édition du Vatican publie un recueil d'interviews du pape, parmi lesquelles se trouvent les deux interviews sujettes à polémique accordées à Scalfari. Accompagnées des mises au point du Père Lombardi ?

3) TROISIÈME ENTRETIEN

   -Le 15 mars 2015, Scalfari publie dans La Repubblica un article qui se présente comme un entretien avec le pape, et dans lequel on peut lire les lignes suivantes :

« Se l'egoismo soverchia e soffoca l'amore per gli altri, offusca la scintilla divina che è dentro di lui e si autocondanna.
Che cosa accade a quell'anima spenta? Sarà punita? E come?
La riposta di Francesco è netta e chiara: non c'è punizione ma l'annullamento di quell'anima. Tutte le altre partecipano alla beatitudine di vivere in presenza del Padre. Le anime annullate non fanno parte di quel convito, con la morte del corpo il loro percorso è finito e questa è la motivazione della Chiesa missionaria: salvare i perduti. »
« Si l'égoïsme submerge et étouffe l'amour pour les autres, il obscurcit l'étincelle divine qu'il a en lui et s'auto-condamne.
Qu'arrive-t-il à cette âme éteinte ? Sera-t-elle punie ? Et comment ?
La réponse de François est claire et nette : il n'y a pas de punition mais l'annulation de cette âme. Toutes les autres participent au bonheur de vivre en présence du Père. Les âmes annulées ne font pas partie de ce banquet, avec la mort du corps leur parcours est terminé et c'est la motivation de l'Église missionnaire : sauver les perdus. »

   Pas de démenti du Vatican cette fois-là…

   4) QUATRIÈME ENTRETIEN

   Le 1er novembre 2015, Scalfari publie dans La Repubblica le compte rendu d'un nouvel entretien avec le pape François. Extrait :

« Il diverso parere dei vescovi fa parte della modernità della Chiesa e delle diverse società nelle quali opera, ma l'intento è comune e per quanto riguarda l'ammissione dei divorziati ai Sacramenti conferma che quel principio è stato accettato dal Sinodo. Questo è il risultato di fondo, le valutazioni di fatto sono affidate ai confessori ma alla fine di percorsi più veloci o più lenti tutti i divorziati che lo chiedono saranno ammessi »
« Les divergences d’opinions entre évêques font partie de cette modernité de l’Église et des diverses sociétés dans lesquelles elle a opéré, mais l’objectif est le même et, en ce qui concerne l’admission des divorcés aux sacrements, cela confirme que ce principe a été accepté par le Synode. Ceci est le résultat final, les évaluations sont de facto confiées aux confesseurs, mais à l’issue de chemins plus ou moins rapides ou lents, tous les divorcés qui le demandent seront admis. » (traduction trouvée ici)

   -le lendemain, le Père Lombardi adresse un démenti au journaliste Edward Pentin :

« Les informations selon lequelles le pape François a dit au journaliste italien Eugenio Scalfari, que les divorcés remariés “seront admis” aux sacrements par le biais du confessionnal ne sont “d’aucune manière fiables” et “ne peuvent être considérées comme reflétant la manière de penser du pape”, dit le porte-parole du Vatican, le P. Federico Lombardi ».

   Sur ce point, le Père Lombardi s'est lourdement trompé : Amoris Laetitia et sa trop fameuse note de bas de page 351, renforcée par d'autres documents officiels par la suite, l'ont démontré depuis. Continuons la lecture du démenti :

« Ainsi que cela s’est déjà produit par le passé, Scalfari rapporte entre guillemets ce que le pape lui a supposément dit, mais souvent cela ne correspond pas à la réalité, puisqu’il n’enregistre ni ne transcrit les paroles exactes du pape, ainsi qu’il l’a lui-même souvent déclaré. Ainsi il est clair que ce qu’il rapporte dans le dernier article sur les divorcés remariés n’est d’aucune manière fiable et ne peut être considéré comme la pensée du pape. »
Le P. Lombardi a précisé qu’il ne publierait pas de communiqué à ce sujet puisque ceux qui ont suivi les événements antérieurs et qui travaillent en Italie connaissent la manière d’écrire de Scalfari et sont bien au courant de ces choses. » (traduction trouvée ici)

   Ce qui semble ressortir des propos du P. Lombardi, c'est une certaine lassitude à l'égard des scandales à répétition suscités par les entretiens publiés par Scalfari. Aucun démenti officiel ne sera donc publié.

   Bilan

   Faisons nos comptes : sur ses cinq entretiens avec le pape que Scalfari a publiés, les responsables de la communication du Vatican se sont sentis obligés en quatre occurrences d'émettre des réserves. Et notez bien que dans trois cas sur cinq (ceux publiés les 1er octobre 2013, 13 juillet 2014, 1er novembre 2015), Scalfari précise bien dans son article que l'entretien avec le pape est à l'initiative de ce dernier, qui l'appelle au téléphone ou l'invite au Vatican.

   Nombreux sont les journalistes, comme Edward Pentin, qui se demandent pourquoi le pape continue à s'adresser à un journaliste qui ne serait pas fiable...

   La conclusion qui s'impose

   Disons le tout de go : ceux qui croiraient à un enchaînement malheureux de « boulettes » de la part du pape ou de Scalfari n'ont rien compris. Pire encore : sous prétexte d'excuser François, ils prennent celui-ci pour un imbécile. Rappelons simplement ici que le Vatican est un État et qu'un tel degré d'amateurisme s'avère inconcevable à un niveau étatique. Une fois ou deux, passe encore… mais cinq ! Et sans avoir besoin d'être prophète pour cela, il est à prévoir qu'une fois que le dernier scandale se sera bien tassé, sauf décès ou maladie grave de l'un des deux protagonistes, nous verrons à nouveau François décrocher son téléphone pour appeler Scalfari ou inviter ce dernier au Vatican. Et nous lirons une fois de plus, sous la plume du vieil athée, des propos hétérodoxes attribués au pape et qui ne manqueront pas de nous faire bondir…

   Pourquoi ? Parce que si François continue à s'adresser spontanément au fondateur de La Repubblica, c'est qu'il estime qu'au fond, ce dernier fait correctement son travail de journaliste, qu'il ne trahit pas ses propos. Contrairement à ce que tentent de nous assener les médias catholiques, contrairement à ce que prétend nous faire croire le service de communication du Vatican, il faut prendre très au sérieux ces articles d'Eugenio Scalfari. Tout simplement parce que le pape, en confirmant régulièrement leur auteur dans son rôle de confident privilégié, démontre par le fait même qu'il faut les prendre au sérieux. Tout comme les ouvrages de Jacques Attali, ces articles sont à consulter comme de véritables boussoles… qui indiquent le sud. Donc, non, le pape ne croit pas à l'existence de l'enfer. Peu importe ce qu'il a pu déclarer par ailleurs, au détour de telle ou telle allocution. En tant que chef de l’Église catholique, il faut bien qu'il donne des gages à ses fidèles et rassure de temps à autre les plus soupçonneux d'entre eux…

   La seule manière logique de comprendre l'enchaînement des faits que nous avons retracés plus haut est de voir qu'il ne relève pas du dysfonctionnement, mais d'un dispositif bien huilé. La maladresse n'est ici qu'apparente. Entre quatre yeux, François se lâche et lâche des énormités, dont il laisse ensuite la pénible gestion à son service de communication. Puis il observe les retombées médiatiques dans les jours qui suivent. Cela lui permet non seulement de sonder l'opinion, mais aussi de la façonner, ou du moins de la préparer en vue de son fameux changement de paradigme (pour ceux qui n'auraient aucune idée de ce dont il s'agit, lisez les précédents articles de ce blog : ici, , ou encore ). Cela lui permet également de vérifier à quel point le déni de sa trahison opère toujours chez les fidèles. Dans tout cela, Scalfari joue le rôle très ambivalent de transmetteur et de fusible.

   Ceux qui ne croient pas qu'un tel machiavélisme soit possible de la part du Souverain Pontife seraient bien inspirés de lire Le Pape dictateur, ouvrage qui sort en français ces jours-ci. L'auteur, historien de l'Ordre de Malte, n'a absolument rien d'un excité. Sa lecture du pontificat actuel repose sur des faits avérés et bien documentés. Terminons cet article par l'aveu de François lui-même : « Je peux peut-être dire que je suis un peu fourbe, que je sais manœuvrer ». Peut-être ? Un peu ? Trop modeste !

   NOTE :

   1 Catéchisme de l’Église catholique, § 1035.

05/06/2018

L’Évangile en 3D - Épisode 3

L'onction de Béthanie

Emmerich et Neumann.jpg

Pour ceux qui auraient raté la bande-annonce, il est encore temps de rattraper votre retard ici.

Anne-Catherine Emmerich1 :

28 mars 1821 :

 

Thérèse Neumann2 :

12 septembre 1928 :

« La salle où l'on devait manger aujourd'hui chez Simon, n'était pas celle où avait eu lieu le repas précédent, le lendemain de l'entrée de Jésus au temple. Ils mangèrent cette fois dans une salle ouverte située derrière la maison et qui avait vue sur la cour.

La salle était décorée et il y avait dans le toit une ouverture au-dessus de laquelle on avait tendu un voile transparent qui formait comme une coupole. Des deux côtés de cette ouverture étaient suspendues deux pyramides de verdures, formées d'une plante grasse, crépue, d'un vert brunâtre, qui avait des petites feuilles rondes : j'en ai oublié le nom. La base de ces pyramides était également garnie de verdure : il me sembla qu'on les maintenait toujours dans cet état de fraîcheur. C'était au-dessous de cette décoration qu'était placé le siège de Jésus. Le côté de la table où l'on apportait les plats en passant par la cour et par la colonnade ouverte, restait inoccupé : seulement Simon se tenait là pour présider au service. De ce côté on voyait sous la table trois grandes urnes plates pleines d'eau.

 

Au repas les convives étaient étendus sur des bancs assez bas placés transversalement ; il y avait par derrière un montant et par devant un bras sur lequel on s'appuyait. Ces bancs étaient placés deux par deux, de manière à ce que deux convives fussent en face de deux autres. Cette fois les femmes mangeaient dans une salle ouverte située à gauche et elles pouvaient, à travers la cour, voir par côté (?) le repas des hommes.

 

Lorsque tout fut prêt. Simon et son serviteur allèrent chercher Jésus, les apôtres et Lazare. Ils avaient des habits de fête : Simon portait une longue robe, une ceinture avec des dessins et il avait au bras un long manipule pendant, terminé par une frange. Le serviteur n'avait pas de manches à son vêtement supérieur. Simon conduisit Jésus, le serviteur conduisit les apôtres. Ils ne traversèrent pas la rue pour gagner la maison de Simon, mais ils arrivèrent dans la salle en passant par le jardin qui était derrière : car il y avait beaucoup de monde à Béthanie, et un grand nombre d'étrangers qui étaient venus pour voir Lazare occasionnaient un certain tumulte. En outre, les habitants étaient étonnés que Simon, dont ordinairement la maison était ouverte au public, eût fait acheter tant de choses et tînt toutes les portes fermées. En un mot, il y avait dans la foule de la curiosité et de l'agitation. Pendant le repas quelques personnes montèrent sur les murs. Tous les convives entrèrent, habillés comme pour une fête, par la porte de derrière de la salle. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu un lavement de pieds ; je crois seulement avoir vu faire des ablutions devant la porte. Les sièges qui garnissaient la table étaient assez larges pour que deux personnes fussent couchées l'une à côté de l'autre ; mais Jésus était seul au milieu. Il y avait sur la table plusieurs grandes coupes dont chacune était accompagnée de deux autres plus petites. Elles étaient remplies de trois espèces de liquide, l'un verdâtre, l'autre rouge et l'autre jaune : je crois que c'était une espèce de poiré. On servit d'abord un agneau, il était étendu sur un long plat de forme ovale, la tête était posée sur les pattes de devant et tournée vers Notre Seigneur. Il prit un couteau blanc qui semblait d'os ou de pierre, le plaça dans le cou de l'agneau qu'il découpa d'abord transversalement ; après quoi il fit une longue incision dans toute la longueur du dos et de la tête. La forme de cette incision me fit penser involontairement à la croix. Il le présenta ainsi découpé à Jean et à Pierre, puis il se servit lui-même. Ensuite Simon découpa transversalement des deux côtés et présenta successivement les morceaux, à droite et à gauche, aux apôtres et à Lazare.

 

On servit aussi un agneau aux femmes, mais il était plus petit et occupait sur le plat une surface moins large : il avait la tète tournée du côté de la mère de Dieu qui le découpa. Il ressemblait presque à un hérisson. (Anne Catherine ne put s'empêcher de rire de cette comparaison). Après l'agneau vinrent trois grands poissons entourés de plus petits. Les grands poissons étaient sur le ventre et semblaient nager dans une épaisse sauce blanche. On servit ensuite de la pâtisserie, des petits pains ayant la forme d'agneaux et d'oiseaux aux ailes étendues, puis des rayons de miel, une herbe verte formant une espèce de salade et une sauce où on trempait cette herbe : c'était de l'huile, à ce que je crois. On apporta ensuite des fruits qui me parurent être des noires : au milieu était une espèce de courge sur laquelle d'autres fruits, notamment des raisins, étaient attachés par la queue. Les plats étaient en partie blancs, en partie jaunes à l'intérieur et plus ou moins profonds, selon l'espèce de mets qu'on y servait. Après avoir mangé l'agneau, les convives burent : ils avaient fait une prière avant de commencer le repas.

 

Les femmes, au nombre de huit ou neuf, étaient assises en rond autour de leur table : Madeleine était en face de la sainte Vierge. Elle avait beaucoup pleuré pendant le repas. Jésus avait enseigné tout le temps. On avait à peu près fini, Jésus parlait encore, les apôtres écoutaient avec une grande attention et Simon, qui était chargé du service, se tenait immobile en face de lui pour mieux l'entendre. Cependant Madeleine s'était levée sans rien dire. Elle portait un manteau léger d'un bleu clair, dont l'étoffe ressemblait assez à celle du manteau des rois mages : ses cheveux épars étaient recouvert d'un voile. Portant son onguent parfumé dans un des plis de son manteau, elle arriva dans la salle par le berceau de verdure, se plaça derrière Jésus, se jeta à ses pieds fondant en larmes, et appuya son visage sur l'un des pieds du Sauveur qui reposait sur le lit de repos. Le Seigneur lui-même lui tendit l'autre pied qui était plus près de terre : elle détacha ses sandales et lui oignit les pieds par-dessus et par dessous. Puis elle prit à deux mains ses longs cheveux épars sous son voile qu'elle passa sur les pieds du Seigneur pour les essuyer et elle lui remit ses sandales.

 

Il résulta de là une interruption dans le discours de Jésus. Il avait bien vu arriver Madeleine, mais pour les autres ce fut une surprise inattendue. Jésus leur dit : " Ne vous scandalisez pas de ce que fait cette femme " ; puis il lui parla à voix basse. Mais Madeleine, après avoir oint les pieds de Jésus, passa derrière lui, versa sur sa tête le précieux parfum qui se répandit sur ses vêtements : elle lui en frotta avec la main le sommet et le derrière de la tête, et toute la salle fut remplie de la bonne odeur qu'exhalait le parfum.

 

Pendant ce temps les apôtres chuchotaient entre eux et murmuraient à voix basse : Pierre lui-même était mécontent. Mais Madeleine pleurant sous son voile fit le tour de la table par derrière et lorsqu'elle passa près de Judas, celui-ci qui avait déjà murmuré avec ses voisins étendit la main pour lui barrer le passage : elle s'arrêta, et il lui reprocha aigrement sa prodigalité, disant que l'argent qu'elle avait ainsi dépensé aurait pu être donné aux pauvres. Madeleine était debout, couverte de son voile, et elle pleurait amèrement. Mais Jésus leur ordonna de la laisser aller : il dit alors qu'elle l'avait oint par avance en prévision de sa mort, qu'elle ne pourrait plus le faire plus tard et que partout où cet évangile serait enseigné, il serait parlé de ce qu'elle avait fait et aussi de leurs murmures.

Alors, Madeleine se retira toute contristée : la fin du repas fut troublée par les murmures des apôtres et par la réprimande de Jésus. Il ajouta encore quelque chose à ce qu'il avait dit, après quoi tous allèrent retrouver Lazare. Cependant Judas était plein de rage et possédé par l'avarice : il se disait à lui-même qu'il ne pouvait pas supporter plus longtemps ces manières d'agir. Il ne laissa rien voir de ses pensées, ôta ses habits de fête et feignit d'être obligé d'aller dans la salle à manger mettre de côté pour les pauvres les restes du repas ; mais il courut en toute hâte à Jérusalem. Je vis tout le temps le démon près de lui, sous la figure d'un homme rouge, au corps grêle et aux formes anguleuses : tantôt il le précédait, tantôt il le suivait et il semblait l'éclairer. Judas courait dans les ténèbres comme s'il y eût vu clair et sans broncher une seule fois. Je le vis à Jérusalem se diriger en toute hâte vers la maison où plus tard Jésus fut accablé d'outrages. Les Pharisiens et les princes des prêtres étaient encore assemblés. »

« Thérèse est transportée à Béthanie. Elle raconte : […] Comme la fête de Pessah est imminente, on y trouve beaucoup d'étrangers sous leurs tentes. Et il en arrive toujours plus chaque jour. Le bruit s'est répandu comme une traînée de poudre disant que Jésus a appelé Lazare hors de sa tombe qui était fermée par une plaque de pierre. Sa maison est maintenant assiégée par des étrangers qui veulent tous voir celui qui est « devenu vivant ».

Je vois le Sauveur arriver sur les lieux et parler amicalement avec eux. Autour de lui se trouvent les apôtres et d'autres adeptes. Même sa mère est là avec Marie de Magdala (et non Magdalena) et d'autres femmes connues.

Un homme élégant s'avance. Il a un manteau « brodé de fleurs » et une jolie ceinture, également brodée. Son visage est « empli de trous » qui ont fini de guérir. Cet homme (« Simon le varioleux » et non « le lépreux ») a près de lui un autre individu. Mais celui-ci n'est pas habillé aussi élégamment. Il porte un habit classique et ses bras sont nus.

Celui qui est élégant s'incline profondément devant Jésus, puis l'invite poliment avec tous les siens à un repas. […] Jésus et cet homme marchent en tête, les autres les suivent jusqu'à ce qu'ils arrivent à sa demeure. Celle-ci dispose d'une grande salle ouverte. Elle a des colonnes simples sur les côtés, mais pas de murs. Entre les colonnes, des buissons verts et des arbres dont certains sont en fleurs. Au milieu un grand toit avec un puits de lumière, qui peut être recouvert par des volets lorsqu'il pleut, repose sur ces colonnes. De longues tables ont été dressées de part et d'autre. Simon et le Sauveur contournent un côté et s'installent. Les hommes prennent alors place avec eux. Les places des femmes se trouvent de l'autre côté. On peut regarder par delà.

L'homme, le « maître de maison » qui accompagne Simon, pose devant Jésus un plateau avec un agneau rôti. Le Sauveur se lève, le coupe d'abord en longueur, puis en morceaux. Ensuite, il sert des portions à l'hôte, puis aux hommes assis autour de lui, et prend sa part en dernier. Il remet ce qu'il reste au maître de maison, et celui-ci sert les autres invités.

[…] Comme c'était la coutume aux banquets et aux festins à l'époque, [Jésus] est couché à table sur un sofa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…] Soudain, tout doucement, comme craintivement, Marie de Magdala s'approche derrière lui. Elle porte un manteau clair avec quelque chose de caché dessous. « Elle a pleuré tout le temps, je ne sais pas pourquoi. »

Elle passe doucement derrière le dos du Sauveur. […] Alors tous fixent Jésus et lui disent de se retourner. « Mais le Seigneur n'a pas besoin de cela, il voit dans le tréfonds de l'intériorité ».

En même temps, Marie de Magdala dénoue les lacets de ses sandales. On entend l'une d'elles tomber. Alors elle s'agenouille, verse sur le pied du Sauveur un onguent. Elle pleure. Il la laisse faire et tourne vers elle son autre pied, si bien qu'elle peut y verser le reste de l'huile. Elle se sert de son voile pour le frictionner… « Elle n'a pas touché le Sauveur directement, je l'ai bien vu clairement ».

Les gens qui entourent Jésus maugréent et marmonnent. Cela ne plaît à aucun. Alors le Sauveur dit quelque chose à Marie de Magdala. Elle se lève. Il semble qu'elle veut quitter les lieux. Mais elle ne s'en va pas. Elle en a l'intention, mais Jésus lui parle à nouveau. Elle sort encore quelque chose de son manteau, d'un blanc brillant et légèrement coloré, comme de la nacre, et le brise au-dessus de la tête de Jésus. « Ah, je ne peux pas dire combien ça sentait bon. […] Ça a senti jusqu'aux femmes assises en bas. »

Quand Marie de Magdala veut quitter les lieux, Judas tend son bras de sorte qu'elle ne puisse passer à côté de lui. Il dit quelque chose et elle recommence à pleurer. Les autres regardent, également avec un air hostile. Le Sauveur se lève et dit quelque chose qui est très fort. « J'ai bien senti qu'il a parlé de sa mort ». Aussitôt sa mère se met à pleurer. Il s'assoit alors près d'elle.

 

 

 

 

 

 

 

Mais une tension subsiste. Les hommes ne comprennent pas très bien ce qu'il a dit. Soudain, l'un d'entre eux (Judas) bondit, regarde Jésus d'un œil noir, et part en courant. Les autres le suivent du regard, sans trop comprendre ce qui se passe. Et « le Sauveur a mal ». C'était déjà la nuit, des « lampes à bec » brûlaient. »


NOTES :

1 EMMERICH, Anne-Catherine, Vie de N.-S. Jésus-Christ, d'après les visions d'Anne-Catherine Emmerich, rédigé par Clément Brentano, traduit de l'allemand par E. de Cazalès, Paris, Ambroise Bray, 1860, tome 6, chapitre XI. On peut lire ce passage en ligne ici.

2 SCHWARTZ, Günther, Nouveau Testament par les visions de Thérèse Neumann, traduit de l'allemand par Marc Géraud, Paris, Le Jardin des Livres, 2017, p. 28-30.