14/05/2020
Le Pacte Éducatif Mondial du pape François : en route vers la nouvelle spiritualité globale !
Même les pires crises peuvent produire leurs avantages collatéraux. Le confinement à grande échelle ne fait pas exception, avec le report en octobre 2020 de la rencontre voulue par François sur le thème du Pacte Éducatif Mondial. À l’origine, cet événement devait se tenir au Vatican le 14 mai. Il y a maintenant plus de quatre ans, nous signalions sur ce blog l'engagement du pape François pour la mise en place d'une religion mondiale, d'une sorte de catholicisme élargi qui trahirait totalement la véritable doctrine catholique, en remettant en cause la place essentielle du Christ dans le mystère du salut. Un lustre plus tard, force est de constater que rien n'a changé à ce niveau. Ou plutôt si, une chose a changé : même dans l’Église, le projet mondialiste se fait de plus en plus explicite. Et manifestement, François a des idées pour intégrer ce projet à l'éducation de nos enfants…
Un prérequis relativiste
« Un changement de vitesse est urgent pour faire prévaloir, par l’intermédiaire d’une éducation intégrale et inclusive, capable d’une écoute patiente et d’un dialogue constructif, l’unité sur le conflit », nous assure l'instrumentum laboris (p. 2-3). « Faire prévaloir l'unité sur le conflit », qui refuserait de souscrire à un tel projet ? Pas si vite, cependant ! Le terme « inclusive » doit nous mettre la puce à l'oreille. En effet, ce néologisme a copieusement servi ces dernières années pour promouvoir l'idéologie homosexuelle, le « mariage » gay, le transsexualisme, l'antispécisme, etc. La méfiance est donc de mise.
« Respecter la diversité, pourrions-nous dire, est donc le premier préalable du pacte éducatif », lit-on ensuite en p. 4. Voilà un préalable éminemment relativiste. Apparemment, la recherche de la vérité ne constitue pas le premier critère de ce pacte éducatif mondial. Cette mauvaise impression se voit corroborée quelques lignes plus loin, avec une référence à la déclaration conjointe d'Abou Dhabi Sur la fraternité humaine. Signée par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar le 4 février 2019, ce texte a fait scandale chez bien des catholiques, qui ont eu l'occasion d'y découvrir une jolie nouveauté catéchétique : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. »1 Voilà donc la diversité des religions mis sur le même plan que la différenciation sexuelle dans le projet divin… En se réclamant du document d'Abou Dhabi, l'instrumentum laboris s'inscrit de fait dans la même veine relativiste.
À la p. 13, les présupposés relativistes se font encore plus explicites. Se fondant sur l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium (n° 250) de François, le document rappelle que « le dialogue entre les religions […] est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et par conséquent est un devoir pour les chrétiens, comme pour les autres communautés religieuses. » Sauf que le dialogue promu ici n'a aucunement pour objectif l'annonce de l'évangile ou même la recherche de la vérité. Qu'on nous permette de citer la suite, reprise elle aussi du même paragraphe d'Evangelii Gaudium : « C’est précisément dans la pratique du dialogue, en effet, que « nous apprenons à accepter les autres dans leur manière différente d’être, de penser et de s’exprimer. De cette manière, nous pourrons assumer ensemble le devoir de servir la justice et la paix, qui devra devenir un critère de base de tous les échanges. Un dialogue dans lequel on cherche la paix sociale et la justice est, en lui-même, au-delà de l’aspect purement pragmatique, un engagement éthique qui crée de nouvelles conditions sociales » (ibid.) » Est-il vraiment utile de commenter ? Le pape promeut un dialogue « dans lequel on cherche la paix sociale et la justice », et non la vérité. Celles-ci deviennent, à la place de la vérité, « un critère de base de tous les échanges ».
Peut-être certains catholiques objecteront-ils que le dialogue ainsi envisagé se trouve au service de la charité. Il s'agit d'une erreur, dès lors que ce dialogue n'a pas d'abord en vue la vérité. Comme le rappelle Mgr Athanasius Schneider dans son récent ouvrage Christus Vincit, c'est la vérité qui fonde la charité et non pas le contraire. Nous en voyons un indice très certain dans la Sainte Trinité, où l'Esprit Saint qui est amour procède du Fils, du Verbe, qui est vérité. Autrement dit, pas de charité sans vérité préalable !2 Par conséquent, un dialogue qui évacue toute recherche de la vérité au profit d'un consensus relativiste ne remplit pas les conditions d'un dialogue charitable. Et pourtant, l'instrumentum laboris prétend nous faire passer de la Caritas in veritate à la Caritas in diversitate…
Quelle implication pour l'éducation de nos enfants ? « Il faut donc exercer la pensée qui ordonne l’unité dans la distinction et qui considère la différence comme une bénédiction pour sa propre identité et non comme un fort empêchement à la réalisation de soi. Le travail éducatif doit intervenir avant tout à ce niveau » (p. 12 de l'instrumentum laboris). Vous avez bien lu : l'éducation doit être relativiste « avant tout ». Dans le même style, « le premier principe indispensable à la construction d’un nouvel humanisme est donc celui de l’éducation à une pensée nouvelle, capable de maintenir l’unité et la diversité, l’égalité et la liberté, l’identité et l’altérité » (p. 12). Dans la promotion de cette diversité, l'annonce de l'évangile se voit littéralement balayée : « il convient aujourd’hui de se concentrer à éduquer les questions des jeunes, prioritaires par rapport au fait de donner des réponses », préconise l'instrumentum laboris à sa huitième page. Il ne s'agit donc surtout plus de transmettre les vérités de la foi. Surtout, pas de prosélytisme !
Dans un communiqué du 3 mars 2020, la Congrégation pour l'éducation catholique (sic), qui semble bien être à la manœuvre pour la mise en place du pacte éducatif mondial, rappelle la dimension radicalement interreligieuse de la rencontre voulue par le pape : « dans la conviction que l'engagement en faveur de l'éducation doit être partagé par tous, [le pacte] implique des représentants des religions, des organismes internationaux et des différentes institutions humanitaires, du monde académique, économique, politique et culturel. De ce point de vue, on peut comprendre que la participation plus large et plus variée souhaitée par le pape François ne constitue pas une dimension supplémentaire au Pacte mondial pour l'éducation, mais qu'elle constitue en même temps le fondement et le but d'une telle alliance. »
Le Christ aux oubliettes
L'instrumentum laboris élaboré en vue du Pacte Éducatif Mondial tient en dix-neuf pages. Sur cette petite vingtaine de pages, le nom de Jésus n'apparaît qu'une seule fois, en troisième page. Et c'est tout… Ah non, pardon ! Toujours à la p. 3, le mot « Christus » apparaît entre parenthèses dans le titre d'une exhortation apostolique. Cela ne fait tout de même pas beaucoup. N'est-ce pas étonnant, au sein d'une institution ecclésiale censée être le corps mystique du Christ ? Plus surprenant encore, dans son invitation à Rome afin de lancer son Pacte Éducatif Mondial, le pape lui-même ne mentionne le Christ qu'une seule fois, à l'occasion d'une simple comparaison. François n'est-il pourtant pas le vicaire du Christ ? Historiquement, si… Mais historiquement seulement, à en croire l'annuaire pontifical de 2020, où la mention « vicaire de Jésus-Christ » n'apparaît plus que parmi les « titres historiques ». Malgré les explications embrouillées du porte-parole du Saint-Siège sur cette modification, les mots conservent un sens, et un sens précis. Un titre historique, c'est un titre daté, tombé en désuétude, démodé même s'il n'a pas fait l'objet d'une abrogation formelle… Au risque de fâcher, il faut donc se poser la question : si le pape François n'est plus le vicaire du Christ, de qui est-il le vicaire ?
Une spiritualité horizontale
Ne croyez pas pour autant que les considérations spirituelles aient disparu de ces documents. Le vocabulaire religieux s'y trouve omniprésent, mais détourné de son sens traditionnel. Par exemple, dans son invitation, François appelle de ses vœux « une alliance entre toutes les composantes de la personne : entre l’étude et la vie ; entre les générations ; entre les enseignants, les étudiants, les familles et la société civile selon leurs expressions intellectuelles, scientifiques, artistiques, sportives, politiques, entrepreneuriales et solidaires. Une alliance entre les habitants de la Terre et la « maison commune » à laquelle nous devons sauvegarde et respect. » Ah bon ? Et nous qui croyions que le Christ scellait « l'Alliance nouvelle et éternelle », comme le disent les prêtres lors de la consécration ! Ici, une autre alliance nous est proposée, non plus entre le Créateur et l'homme avec le Christ comme médiateur (cette acception traditionnelle du mot est d'ailleurs rappelée aux p. 3-4 de l'instrumentum laboris), mais d'une part entre la terre et ses habitants, et d'autre part entre les différentes instances de la société. Et il s’agit bien d’une alliance de type religieux, car « toute alliance, toute alliance en vue du bien commun, en vue du bien de l'humanité, porte en elle quelque chose de sacré », affirme la page internet officielle consacrée au logo du projet. La société humaine, mais aussi la terre, font donc ici l'objet d'une divinisation implicite. Cela ne vous surprendra guère si vous vous rappelez la cérémonie idolâtre qui s'est tenue le 4 octobre 2019, dans les jardins du Vatican, en présence de François lui-même. Les participants s'étaient alors prosternés en cercle devant une statue que le pape en personne avait fini par identifier comme étant la Pachamama… autrement dit, la déesse de la terre-mère dans le paganisme sud-américain…
Autre exemple flagrant de ce détournement sémantique, cette fois dans l'instrumentum laboris (p. 7) : « « Ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout. » Au quatrième chapitre des Actes des Apôtres, c'est pourtant dans les termes suivants que saint Pierre ―le premier pape !― évoque Jésus : « il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (verset 12). N'oublions pas que le nom « Jésus » lui-même ne signifie rien d'autre que : « Dieu sauve » ; et que les derniers mots du Christ au moment de mourir sont précisément : « Tout est accompli » (Jean, XIX, 30. Mais non ! nous dit-on. « « Ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout. » Le Christ ne fait donc pas l'objet d'un simple « oubli » de la part des auteurs du document. Il se voit purement et simplement remplacé. L'humanité n'est plus sauvée par Jésus, mais par elle-même, pour peu qu'elle sache faire preuve de solidarité…
En voulez-vous encore ? Reprenant l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium de François (n° 87), l'instrumentum laboris insiste sur « la nécessité de découvrir et de transmettre la “mystique” de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras, de se soutenir, de participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire… » (p. 2). Apparemment, l'expression « mystique du vivre ensemble » a plu aux auteurs du document, qui l'ont insérée dans la liste des « noyaux thématiques générateurs d'autres réflexions » (sic, p. 19). Là encore, si les termes ont une signification, la mystique, c'est « l'ensemble des pratiques du mysticisme, intuitions, connaissances obtenues par elles ». Et le mysticisme lui-même se définit comme « l'ensemble des croyances et des pratiques se donnant pour objet une union intime de l'homme et du principe de l'être (divinité) » (dictionnaire le Petit Robert de 1981). Ici, l'union aux autres vient donc très clairement remplacer l'union à Dieu.
Pour être parfaitement honnête, dans le contexte d'Evangelii Gaudium, cette « mystique de vivre ensemble » peut encore être perçue comme une allusion à l’Église, corps mystique du Christ. En effet, le paragraphe 87 où cette expression apparaît est précédé d'un titre qui invite à la comprendre dans ce sens : « Oui aux relations nouvelles engendrées par Jésus Christ » ; en outre, la phrase de François, citée par l'instrumentum laboris, se termine originellement comme suit : « en une caravane solidaire, en un saint pèlerinage ». Les auteurs du nouveau document ont donc censuré tout ce qui aurait permis de comprendre de manière catholique « la mystique de vivre ensemble ». Le « saint pèlerinage », vraisemblablement parce qu'il semble remettre Dieu au centre des relations humaines, n'a pas trouvé grâce à leurs yeux, et ils ont caviardé ce passage en le remplaçant par des points de suspension !
Autre détournement très significatif du vocabulaire religieux : la vertu théologale d’espérance n’a plus pour objet la vie éternelle3, mais seulement la vie ici-bas, censée, grâce à nos efforts, devenir meilleure à l’avenir. Ainsi comprise, elle se confond avec l’espoir. En effet, les auteurs de l’instrumentum laboris utilisent à six reprises le terme « espérance ». Et dans la moitié de ces occurrences, ce mot est explicitement associé soit au terme « futur », soit au terme « avenir » (p. 3 et p. 9). C’est aussi le cas dans l’invitation du pape François : « Cherchons ensemble à trouver des solutions, à lancer sans aucune crainte des processus de transformation et à regarder l’avenir avec espérance. » Ici, il ne s’agit absolument pas de se préparer à l’au-delà, mais de préparer ici-bas un monde meilleur. Il ne s’agit plus de l’espérance dans la vie éternelle, mais de « l’espérance dans le futur » (p. 9 de l’instrumentum laboris).
Un panthéisme qui dit enfin son nom
Les conséquences de ce que nous venons de décrire s’imposent d’elles-mêmes. Si « « ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout », alors, ensemble, nous sommes Dieu. Si le simple fait de « vivre ensemble » constitue une « mystique », et nous unit donc ipso facto à la divinité, c’est là encore parce qu’ensemble nous sommes Dieu. Et si notre espérance est tournée vers un futur terrestre qu’il nous faut réaliser par nos propres forces, alors c’est que nous pouvons nous procurer par nous-mêmes la vie éternelle. Nous sommes ensemble le divin, indépendamment de toute référence à un être transcendant, à un au-delà de nous-mêmes. Voilà un catéchisme aux antipodes du christianisme…
Mais au fait, qui est « nous » ? Et « ensemble », c’est qui ? C’est tout ce qui existe. La page officielle dédiée à l’exégèse du logo ne laisse place à aucun doute : « La ligne du cercle symbolise ce macrocosme qu'est Dieu, et exprime le début et la fin de toute chose : l'être, la totalité. » Donc Dieu n’est plus le Créateur de l’univers, mais c’est l’ensemble de l’univers qui est Dieu. Nous voici bel et bien face à un panthéisme explicite. Rétrospectivement, nous pouvons comprendre à la lumière de ce constat certaines affirmations pour le moins tendancieuses de l’encyclique Laudato Si'. Voici à la volée quelques extraits des paragraphes 233 (cité comme par hasard aux p. 10-11 de l’instrumentum laboris) et 234 qui prennent désormais tout leur sens :
« L’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. »
« L’idéal n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose .» Le trouver lui, et non plus simplement son action…
« Comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est d’autant plus éminente que l’homme sent en lui-même l’effet de la grâce divine et qu’il sait trouver Dieu dans les créatures extérieures ». » Vous apprécierez au passage la récupération éhontée du saint franciscain.
« Le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est toutes les choses » » La citation provient de saint Jean de la Croix, à son tour embrigadé sous la bannière du panthéisme…
« Les vallons solitaires sont paisibles, agréables, frais et ombragés. [...] Mon Bien-Aimé est pour moi ces vallons ». Nouvelle citation du Cantique spirituel de saint Jean de la Croix. Rappelons au passage que cette œuvre, tout comme Le Cantique des créatures de saint François d’Assise (abusivement repris par le pape actuel), appartient au genre de la poésie, et non du traité théologique. De toute évidence, on ne peut pas faire de catéchèse sérieuse à coups de citations poétiques… En revanche, en les détournant de leur sens premier, on peut s’en servir comme arguments d’autorité très commodes pour rendre crédible l’inacceptable…
Et revoilà l’antispécisme…
Les hommes, d’après l’instrumentum laboris, font donc partie intégrante d’un tout divin. Cette idée, même si elle contredit la doctrine catholique, peut sembler très généreuse à première vue… François prétend d’ailleurs bâtir un « nouvel humanisme » : l’expression se trouve dans son invitation et l’instrumentum laboris la reprend telle quelle. Ce nouvel humanisme, cette nouvelle vision de l’homme, constitue elle aussi une rupture par rapport à la tradition chrétienne. Celle-ci s’appuyait sur la parole de Dieu dans le livre de la Genèse. En effet, dès la création de l’homme, le Seigneur affirme nettement la souveraineté de ce dernier sur les autres êtres vivants : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Genèse I, 28) Il le place également dans un jardin « afin de le cultiver et de le garder » (Genèse II, 15). Évidemment, il faut éviter que le jardin ressemble à une décharge… Cette primauté ne constitue donc pas une invitation à faire n’importe quoi, mais elle implique une responsabilité.
Dans le monde de François, tout se passe comme si cette supériorité de l’homme sur les autres êtres n’existait pas. Voici un passage de l’encyclique bergoglienne cité par l’instrumentum laboris (p. 10) : « Considérer la question environnementale comme intrinsèquement relationnelle « nous empêche – affirme Laudato si’ – de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle » (n° 139). » Retenez bien cette thèse : nous sommes une partie de la nature. Or, seulement deux paragraphes plus loin dans l’encyclique (n° 141), on lit que « le tout est supérieur à la partie », idée déjà développée avec insistance dans Evangelii Gaudium (n° 234-237). Ces deux affirmations forment les prémisses d’un syllogisme dont, très habilement, le pape se garde bien de formuler la conclusion de manière explicite : « le tout est supérieur à la partie » (prémisse majeure) ; or nous, les hommes, sommes une partie de la nature (prémisse mineure) ; donc la nature est supérieure aux hommes (conclusion logique).
D’autres éléments viennent exprimer cet antispécisme. Par exemple, la p. 6 de l’instrumentum laboris cite un long extrait d’un discours de François :
« La créature humaine semble aujourd’hui se trouver à un moment particulier de son histoire […]. La caractéristique emblématique de ce moment peut être reconnue de manière synthétique dans la diffusion rapide d’une culture centrée de manière obsessionnelle sur la souveraineté de l’homme – en tant qu’espèce et en tant qu’individu – par rapport à la réalité. Certains vont même jusqu’à parler d’égolâtrie, c’est-à-dire d’un véritable culte du moi, sur l’autel duquel on sacrifie toute chose, y compris les liens d’affection les plus chers. Cette perspective n’est pas inoffensive : elle façonne un sujet qui se regarde sans cesse dans un miroir, jusqu’à devenir incapable de tourner les yeux vers les autres et le monde. »
Ici, la thèse antispéciste est introduite dans l’incise « en tant qu’espèce et en tant qu’individu », qui mêle savamment le vrai et le faux : d’un point de vue chrétien, l’égoïsme individuel sera toujours condamnable, contrairement à la souveraineté des hommes sur le reste des créatures, qui fait partie des desseins divins, ainsi qu’on l’a rappelé plus haut. Admirez au passage la virtuosité rhétorique, qui agit ici comme un rayon paralysant : la vérité d’une proposition paraît bien avoir pour objectif d’empêcher le lecteur de réagir contre la fausseté de l’autre… Dernière précision avant de passer à la suite : ce discours anti-humain a été tenu « aux participants à l’assemblée générale des membres de l’Académie Pontificale pour la Vie en octobre 2017. » Ironie ?
L'idéologie antispéciste s'incarne aussi dans la langue utilisée par François. Les énumérations notamment, parce qu'elles relient plusieurs éléments en les mettant sur le même plan syntaxique, enfoncent subrepticement dans le cerveau du lecteur l'idée d'une égalité fondamentale entre les êtres personnels et impersonnels. Voici par exemple un extrait du n° 70 de Laudato Si', cité par l'instrumentum laboris à la p. 10 : « La négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. » Cette énumération met sur le même plan le rapport à la terre, être impersonnel, et le rapport aux êtres personnels. Elle établit par le fait même une équivalence entre eux. Il ne s'agit pas de la seule occurrence de ce phénomène. En voici une autre, toujours à la p. 10, qui emprunte cette fois-ci au n° 233 de l'encyclique : « il est possible de redécouvrir – ainsi que l’affirmait le pape François – « une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre. » » Ici encore, cet inventaire à la Prévert nous dit quelque chose de la vision bergoglienne de l'homme : visiblement, « le visage du pauvre » n'a pas une valeur plus grande que la « feuille », « la rosée » et le « chemin » évoqués avant lui.
La coordination produit parfois le même effet nivelant. La p. 13 de l'instrumentum laboris se réfère à nouveau l'encyclique écologique : « si « le cœur est authentiquement ouvert à une communion universelle, rien ni personne n’est exclu de cette fraternité » (Laudato si’, n° 92). » Vous avez bien lu : « rien ni personne ». Subtil, n'est-ce pas ? Deux petits mots supplémentaires et le tour est joué ! Autre occurrence de coordination à portée antispéciste en page 5 : « plus la fraternité est exercée, moins elle exprime –en premier lieu– un devoir moral, mais bien plutôt l’identité objective du genre humain et de toute la création. » Réduisons cette phrase à sa plus simple expression : « la fraternité exprime l’identité objective du genre humain et de toute la création. » Nous voici donc désormais frères des ours et des nénuphars, qui ne valent pas moins que nous…4
Ami lecteur, que ces considérations syntaxiques ne vous fassent pas hausser les épaules ! Dans le dernier livre de la bible, saint Jean a décrit le faux prophète comme « une bête » qui « avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon » (Apocalypse XIII, 11). L'auteur sacré nous lance ainsi un avertissement : le langage, sa manipulation et son déchiffrement joue(ro)nt un rôle clé dans la bataille spirituelle finale. Pour démasquer le faux prophète, ne vous demandez donc pas si sa tête vous revient ou non. Prêtez plutôt attention à ce qu'il dit.
L'écologie intégrale : cheval de Troie païen dans l'enseignement catholique
Dans son invitation à Rome, le pape François évoque un thème qui lui est cher, celui de l'écologie intégrale, déjà mentionné dans Laudato Si'5 et repris dans l'instrumentum laboris (page 10). Depuis la fameuse encyclique, ce concept a été volontiers repris par des catholiques aussi enthousiastes que mal informés. Car enfin, d'où vient cette expression d'« écologie intégrale » ? Qui l'employait avant François ?
On la trouve en l'an 2000 sous la plume des penseurs païens de la Nouvelle Droite, Alain de Benoist et Charles Champetier dans leur Manifeste pour une renaissance européenne. Ces auteurs se positionnent « pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste ». Selon eux, il faut « en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos. »6 « Cette transcendance immanente fait de la nature un partenaire, non un adversaire ou un objet. »7 Comme par hasard, à ces affirmations se superpose parfaitement celle de Laudato Si' (n° 139), partiellement citée par l'instrumentum laboris (page 10), et d'après laquelle « quand on parle d’“environnement”, on désigne en particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle ». Il existe donc bel et bien une véritable similitude de pensée entre écologistes païens et catholiques qui se réclament de l'écologie intégrale. Mais contrairement aux seconds, les premiers ont la lucidité de reconnaître l'incompatibilité radicale qui demeure entre écologie intégrale et anthropologie chrétienne : cette vision du monde, rappellent-ils avec raison, « ne gomme pas la spécificité de l’homme, mais lui dénie la place exclusive que lui avaient attribuée le christianisme et l’humanisme classique. »8
Sous le pontificat de Benoît XVI, un jeune auteur catholique se fait à son tour le chantre de l'écologie intégrale. En 2007, Falk van Gaver publie ainsi dans le journal catholique L'Homme Nouveau un article au titre évocateur : « Pour une écologie intégrale »9. En 2011, il publie, toujours aux éditions de l'Homme Nouveau, L'Ecologie selon Jésus-Christ, essai dans lequel il nie toute incompatibilité entre écologie intégrale et christianisme. En 2017, dans une interview donnée à Aleteia, il témoigne de son rôle pionnier dans l'intégration de l'écologie intégrale à l'enseignement catholique : « Comme toute chose, la doctrine de l’Église est changeante, et plus précisément évolutive : en témoigne « l’écologie intégrale », terme que je crois avoir été le premier (en tout cas en langue française) à employer publiquement en chrétien, et en tant que chrétien, dans mes articles et conférences, il y a dix ans et davantage, et qui est devenu doctrine officielle de l’Église. » Accessoirement, on apprend au cours de cet entretien qu'il a « perdu la foi »10. Dans une autre interview donnée un an plus tard au site Hommes de Polynésie, Falk van Gaver confirme « la remise en cause de [s]on adhésion au christianisme institutionnel et [s]a crise de foi. » Il y évoque aussi un de ses projets : « Un autre projet qui me tient à cœur est le « Te Fare Philo », c’est-à-dire la polysophie, le multinaturalisme et le polyculturalisme : promouvoir les sagesses polynésiennes, les sagesses pacifiques, les sagesses locales et les sagesses plurielles. Faire sortir la philosophie des salles de classe et d’examen et des exercices académiques. Je veux diffuser l’écosophie : les sagesses écologiques philosophiques, traditionnelles, populaires, savantes, scientifiques, spirituelles, religieuses… Promouvoir la convergence, le syncrétisme et le pluralisme écosophique. »11 Comprenez : les sagesses païennes. Voilà donc Falk van Gaver laissé au paganisme qu'il avait déjà adopté sans le savoir avec l'écologie intégrale. La malheureuse trajectoire de ce militant illustre à merveille l'incompatibilité qui perdure malgré tout entre cette idéologie et le catholicisme. Vous pouvez peut-être faire coexister les deux un temps, mais l'un finira par expulser l'autre. Ici, comme dans le domaine économique, la loi de Gresham semble devoir se vérifier : la mauvaise doctrine chasse la bonne… Une fois gratté le vernis catholique, l'écologie intégrale se donne à voir pour ce qu'elle est toujours : une doctrine intrinsèquement païenne.
Fait intéressant, dans un troisième entretien, Falk van Gaver mentionne lui-même un autre promoteur de l'expression « écologie intégrale » : « lorsque j’ai forgé publiquement ce concept en 2006-2007 dans le cadre de mon engagement spirituel, intellectuel et existentiel chrétien dans l’Église catholique, [...] j’ignorais que le théologien de la libération et ex-prêtre catholique Leonardo Boff avait utilisé cette expression quelques années auparavant. »12 Effectivement, ce théologien brésilien vantait déjà l'écologie intégrale au milieu des années 90. On en trouve un exemple dans un article de lui paru le 12 mai 1996 dans le quotidien Folha de S. Paulo. Il y distingue quatre niveaux d'écologie, tous pertinents et complémentaires selon lui : l'écologie environnementale, l'écologie sociale, l'écologie mentale et l'écologie intégrale. L'écologie mentale consiste ainsi à lutter contre une vision anthropocentrique de la création :
« L'anthropocentrisme considère l'être humain comme le roi/la reine de l'univers. Il pense que les autres êtres n'ont de sens que lorsqu'ils sont ordonnés à l'être humain ; ils y sont disponibles à volonté. Cette structure rompt avec la loi la plus universelle de l'univers : la solidarité cosmique. Tous les êtres sont interdépendants et vivent dans un réseau de relations très complexe. Tous sont importants.
Il n'existe pas de personne qui soit roi ou reine et qui se considère comme indépendante sans avoir besoin des autres. La cosmologie moderne nous enseigne que tout a à voir avec tout, à tout moment et en toutes circonstances. L'être humain oublie cette réalité. Il s'éloigne et se met au-dessus des choses au lieu de se sentir ensemble et avec elles, dans une immense communauté planétaire et cosmique. Il est important que nous retrouvions des attitudes de respect et de vénération envers la Terre. »13
Quelle différence entre cette « écologie mentale » et la « co-appartenance de l’homme et du cosmos » affirmée par les penseurs païens de la Nouvelle Droite ? Aucune. On retrouve la même rupture avec le livre de la Genèse.
Là encore, on peut parler d'habillage catholique d'une doctrine païenne. En effet, Leonardo Boff a beau avoir été franciscain avant de défroquer, il défend dès 1996 une vision toute païenne de l'univers :
« La grande question n’est pas de savoir quel sera l’avenir de l’Église, mais quel sera celui de l’humanité et dans quelle mesure l’Église peut aider et garantir cet avenir. A l’intérieur de l’option pour les pauvres, il faut penser la terre comme un grand pauvre ; il faut le penser à l’intérieur de la libération : libérer la terre pour qu’elle ne souffre pas, pour qu’elle soit la grande Pachamama ou la grande Mère qui nous nourrit tous. Elle est notre corps élargi. Il faut aussi, théoriquement, faire à partir de la terre une expérience plus complète de Dieu, une expérience plus cosmique du Christ qui est dans la matière, de l’esprit qui conduit l’univers. De la façon dont nous saisissons la terre, nous saisissons Dieu, et il s’agit d’avoir à partir de là une théologie de la libération et une spiritualité. Et je pense que nous pouvons avoir une théologie de la libération plus intégrale si nous incluons toutes ces dimensions, le pauvre, tous les hommes car tous sont menacés comme la terre et avec elle. Et ceci permet que la théologie de la libération soutienne une spiritualité qui inclut aussi les personnes dans cette dimension de sauvegarde de la nature, de la terre, de l’avenir, afin que nous puissions tous vivre ensemble avec la terre en la considérant comme notre mère. »14
Vous noterez au passage, la présence de la Pachamama, qui s'est depuis illustrée dans les jardins du Vatican…
Pour résumer, Alain de Benoist, Charles Champetier, Falk van Gaver, Leonardo Boff sont quatre pionniers de l'écologie intégrale qui nous orientent tous dans la même direction : celle du paganisme. Dès lors, faire entrer l'écologie intégrale dans l'enseignement catholique, c'est y introduire un élément païen susceptible de le dissoudre de l'intérieur…
Leonardo Boff, nègre du pape ?
En fait, une étude comparative révèle sans difficulté l'étrange parenté entre la pensée de Leonardo Boff et celle présente dans les documents du pacte éducatif mondial.
Leonardo Boff (textes des années 90) |
Documents pour le Pacte éducatif mondial |
« Nous devons faire la paix et pas seulement une trêve avec la terre. Nous devons reconstruire un pacte de fraternité/sororité et de respect pour celle-ci. » (source) |
« Une alliance entre les habitants de la Terre et la « maison commune » à laquelle nous devons sauvegarde et respect. » (invitation du pape François) |
« C'est là, dans l'esprit humain, que sont initiés les mécanismes qui nous mènent à une guerre contre la Terre. Ils s'expriment dans une catégorie : notre culture anthropocentrique. L'anthropocentrisme considère l'être humain comme le roi/la reine de l'univers. » (source) |
« La caractéristique emblématique de ce moment peut être reconnue de manière synthétique dans la diffusion rapide d’une culture centrée de manière obsessionnelle sur la souveraineté de l’homme – en tant qu’espèce et en tant qu’individu – par rapport à la réalité. » (Instrumentum laboris, p. 6 ; citation d'un discours de François) |
« Tous les êtres sont interdépendants et vivent dans un réseau de relations très complexe. » (source) |
« L’être humain et la nature doivent être pensés comme interdépendants » (Instrumentum laboris, p. 10) |
« […] comprendre que la terre est un super organisme vivant, qu’elle n’est pas un dépôt de ressources naturelles dont nous pouvons tirer et retirer des tas de choses, mais qu’elle est la Grande Mère, la Grande Pachamama, qu’elle prolonge notre corps » (source) |
« Considérer la question environnementale comme intrinsèquement relationnelle « nous empêche – affirme Laudato si’ – de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle » (n° 139). » (Instrumentum laboris, p. 10) |
« Cette vision exige une nouvelle civilisation et un nouveau type de religion, capable de reconnecter Dieu et le monde, le monde et l'être humain, l'être humain et la spiritualité du cosmos. » (source) |
« Il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » (Laudato si’, n° 118) (Instrumentum laboris, p. 10) |
« L'écologie intégrale cherche à habituer l'être humain à cette vision globale et holistique. Le holisme ne signifie pas la somme des parties, mais la capture de la totalité organique, une et diverse dans ses parties, mais toujours articulée entre elles au sein de la totalité et constituant cette totalité. » (source) |
« L'écologie intégrale qu'appelle le pape […] naît de la conscience pleine que « tout est lié », « tout est en relation », ainsi que l’a répété plusieurs fois Laudato si’ (cf. nos 70, 92, 117, 120, 138,142). » (Instrumentum laboris, p. 10) |
« Le christianisme est amené à approfondir la dimension cosmique de l'incarnation, l'inhabitation de l'esprit de la nature et le panenthéisme, selon lequel Dieu est en tout et tout est en Dieu. » (source) |
« L’idéal n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose .» (Laudato si’, n° 233) (Instrumentum laboris, p. 10-11) |
« Ils nous aident à être un être de relations » (source) |
« C’est précisément ce que signifie mettre au centre la personne qui est relation. » (Instrumentum laboris, p. 13) |
Même sanctionnée jadis par Jean-Paul II, la pensée de Leonardo Boff, pourtant défroqué et vivant aujourd’hui en concubinage, semble avoir fait son chemin dans l’Église. Le principal intéressé reconnaît lui-même cette influence, ainsi que le rôle qu'il a joué dans l'écriture de Laudato si'. Dans une interview donnée à un journal allemand et traduite sur le site Benoît-et-moi, le théologien brésilien explique comment François lui a demandé de lui faire parvenir du matériel pour l'écriture de l'encyclique. Il raconte aussi par quels moyens détournés, recommandés par François lui-même, s'est fait cet envoi, afin d'éviter toute interception de la part de l'administration vaticane. Enfin, il évoque les remerciements que lui a adressés le pontife lorsque l'encyclique a été publiée. Il s'avère donc tout à fait logique de retrouver les élucubrations de Leonardo Boff dans les documents du pacte éducatif mondial, pensé par le pape comme un prolongement de Laudato Si', ainsi qu'il le rappelle dès le début de son invitation.
Du service chrétien à l'asservissement totalitaire
Éducation au service, éducation par le service et éducation comme service… Le service constitue une des grandes idées du pacte éducatif mondial, tant dans l'invitation du pape François que dans l'instrumentum laboris. Car il s'agit ici de « former des personnes disponibles à se mettre au service de la communauté. » (p. 3 de l'instrumentum laboris). Là encore, cela paraît parfaitement chrétien à première vue. Mais à première vue seulement. En effet, le sens ultime du service nous est donné par Jésus-Christ lui-même dans l'évangile selon saint Matthieu (XXV, 31-46) : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi! […] chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » C'est donc Jésus que le chrétien sert dans ses frères. Ôtez cette dimension transcendante et le service perd toute signification chrétienne. Or, les documents relatifs au pacte éducatif mondial, sans la nier de manière explicite, ne rappellent jamais cette signification ultime du service.
La vie humaine et le service se voient ici réduits à leur seule dimension terrestre. « Nous sommes créés non seulement pour vivre « avec les autres », mais aussi pour vivre « au service des autres », dans une réciprocité salvifique et enrichissante » (p. 5 de l'instrumentum laboris). Voilà une affirmation bien pauvre : nous sommes d'abord créés pour vivre avec Dieu et au service de Dieu, un court moment ici-bas, puis dans l'éternité. Et c'est seulement dans cette perspective que le service du prochain acquiert un sens. Ne vous y méprenez pas : il ne s'agit pas ici d'un simple problème de formulation. Ces conceptions appauvries du but de la vie et du service portent en elles de très graves implications. À partir du moment où la finalité de la vie humaine est réduite à une perspective purement horizontale, plus rien n'empêche de l'enfermer dans un projet tout aussi horizontal, où l'individu se voit tout entier asservi à la collectivité. Si je suis créé uniquement « pour vivre au service des autres », alors les autres peuvent tout exiger de moi : me voilà corvéable à merci ! Ainsi absolutisé, car non limité par la perspective eschatologique traditionnelle, « le service de la communauté » se mue très facilement en esclavage et en aliénation. Relire à ce sujet les § 47 et 48 du Compendium de la doctrine sociale de l’Église que les auteurs du pacte éducatif mondial feraient bien d'avoir en tête !
Dans ce système dont la théorie n'a rien à envier aux pires régimes communistes, l'éducation s'effectue tout entière en vue du service de la collectivité : « la recherche éducative distingue toujours plus clairement la dimension centrale du service au prochain et à la communauté en tant qu’instrument et but de l’éducation. » (p. 18 de l'instrumentum laboris). Vous croyiez que le Vatican allait mettre l'accent sur l'éducation religieuse ? Eh bien, vous vous êtes trompé ! Ou plutôt, non, vous ne vous êtes pas trompé. Car l'éducation religieuse a Dieu pour objet. Et précisément, rappelez-vous que la collectivité est Dieu, puisqu'« « ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout » (p. 7 de l'instrumentum laboris). Donc il s'agit bien ici d'une éducation religieuse, quoique d'un genre nouveau…
Mais comment cette éducation peut-elle avoir pour but de mettre au centre le « service au prochain et à la communauté », et être en même temps une « éducation écologique intégrale » (p. 10 de l'instrumentum laboris), « ayant pour vocation de créer une citoyenneté écologique » (Laudato si' n° 211, p. 16 de l'instrumentum laboris) ? Comment comprendre l'articulation entre ces deux aspects apparemment irréductibles l'un à l'autre ? Tout simplement en prenant conscience du fait que le prochain et la communauté auxquels on prétend nous asservir ne sont pas seulement les êtres humains. Il s'agit, antispécisme oblige, de la grande communauté de la nature : les animaux (et parmi eux les humains), les végétaux et les minéraux ! Vous avez l'honneur de faire partie d'un tout divin ? Eh bien, vous allez devoir perpétuellement vous sacrifier pour « ce macrocosme qu'est Dieu » ! Souvenez-vous : « rien ni personne n’est exclu de cette fraternité. [...] Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre. » (Laudato si’, n° 92).
Des influences onusiennes et mondialistes indéniables
Un des problèmes les plus visibles du pacte éducatif mondial réside dans le fait qu'il s'inspire en grande partie de la mentalité onusienne. Sur le plan formel, l'idée d'un pacte mondial provient tout droit de l'ONU, qui avait lancé le sien en 2000. Comparez son logo avec celui du pacte éducatif mondial : leur parenté crève les yeux. Dès votre arrivée sur le site dédié au projet, vous voilà face à un diaporama où les considérations de Kofi Annan (longtemps secrétaire général des Nations Unies) sur l'éducation côtoient des citations de Gandhi et C. S. Lewis, tous trois grands catholiques comme chacun le sait…
Mais ces ressemblances ne s'arrêtent pas là. On peut parler de véritable influence onusienne. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter le programme de l'atelier qui s'est tenu les 6 et 7 février 2020 au Vatican dans le but d'échanger sur le pacte éducatif mondial15. Parmi les participants, on trouve Stefania Giannini, sous-directrice générale de l'UNESCO pour l'éducation, Jeffrey Sachs, lui aussi très impliqué dans diverses responsabilités au sein des Nations-Unies, Leslee Udwin, militante féministe récompensée à deux reprises par l'ONU pour son combat en faveur des droits de l'homme, José Maria del Corral, un proche de François récompensé par l'UNICEF. La note introductive de ce programme (p. 3) cite même les items 2 et 3 des Objectifs du Millénaire pour le Développement, respectivement « l'éducation primaire pour tous » et « l'égalité des sexes », et la moitié de ses notes de bas de page renvoie à des documents de l'ONU. Or, se réclamer de ces objectifs devrait normalement poser problème à l'Académie Pontificale des Sciences Sociales, organisatrice de l'atelier. En effet, l'item 5 des OMD (« améliorer la santé maternelle ») inclut l'accès à la contraception et à ce que l'on nomme pudiquement la « planification familiale » (voir les p. 31 à 39 du rapport de 2012). Tout cela ne semble pas très catholique… Mais François n'a-t-il pas déclaré que nous devions obéir aux Nations-Unies ?
L'intervention de Jeffrey Sachs lors de cet atelier s'avère très significative des liaisons dangereuses que l’Église catholique cultive actuellement avec les instances mondialistes. Pendant une demi-heure, l'économiste disserte sur les moyens financiers qui permettraient d'assurer l'éducation de toute la planète. À un aucun moment, la question du contenu précis de cette éducation n'est vraiment abordée. Son allocution se termine sur ce qui ressemble à d'excellentes nouvelles. En effet, les plus grandes fortunes du monde (Bill Gates…) et ses plus hautes instances se déclarent prêtes à soutenir financièrement le pacte éducatif mondial du pape : les agences onusiennes (UNICEF, UNESCO...), le Fonds Monétaire International, l'Union Européenne… Et là, on peine à croire qu'il s'agisse, de la part de ces instances mondialistes, de soutenir une éducation authentiquement catholique… Surtout lorsque l'on voit apparaître, dans la liste de Jeffrey Sachs, les promoteurs des Objectifs de Développement Durable du Secrétaire Général de l'ONU, dont il fait lui-même partie. Or, parmi ces ODD, on retrouve l'accès à la contraception et à la « planification familiale ». En fait, durant son intervention, Jeffrey Sachs se réclame constamment des objectifs onusiens, sans que personne ne bronche. Tout se passe comme s'il n'y avait pas d'incompatibilité majeure entre ces objectifs et la morale catholique…
Conclusion
Le pacte éducatif mondial voulu par le pape se présente donc comme une étape décisive dans la mise en place d'une nouvelle spiritualité globale ; une spiritualité sous-tendue par une vision du monde relativiste, panthéiste et antispéciste, débarrassée de Jésus-Christ et de la morale catholique ; une spiritualité à laquelle même les entités mondialistes et satanistes peuvent apporter leur soutien16, car elle s'inscrit pleinement dans leur projet d'asservissement mondial ; une spiritualité que beaucoup de catholiques promeuvent sans même en avoir conscience, sous le nom d'écologie intégrale.
N'en déplaise aux papolâtres de tous crins, on ne peut que pointer du doigt la très lourde responsabilité du pape François dans cette subversion sans précédent de la doctrine catholique. Bien sûr, cela n'empêche bien sûr pas de prier pour sa conversion et pour le salut de son âme. Mais il est évident que s'il se comporte jusqu'à la fin comme le faux prophète décrit par saint Jean dans l'Apocalypse, il connaîtra le même sort que lui : « Et la bête fut prise, et avec elle le faux prophète, qui avait fait devant elle les prodiges par lesquels il avait séduit ceux qui avaient pris la marque de la bête et adoré son image. Ils furent tous les deux jetés vivants dans l'étang ardent de feu et de soufre. » (Apocalypse, XIX, 20)
NOTES
1 Pour bien saisir la rhétorique relativiste à l'œuvre dans cette phrase, voir plus bas le paragraphe sur les effets nivelants de la coordination.
2 Cf. MONTAGNA, Diane, SCHNEIDER, Athanasius, Christus Vincit: Christ’s Triumph Over the Darkness of the Age, New-York, Angelico Press, 2019, p. 165-166.
3 « L’Espérance est une vertu surnaturelle, infuse par Dieu dans notre âme, par laquelle nous désirons et nous attendons la vie éternelle que Dieu a promise à ses serviteurs, et les secours nécessaires pour l’obtenir. » Cf. le Grand Catéchisme de saint Pie X, chapitre I, cinquième partie, § 6.
4 Bien sûr, dans la promotion de cette fraternité, tout comme dans celle de la prétendue maternité de la terre, saint François d'Assise, avec son Cantique des créatures, constitue l'alibi parfait. Mais il faut ici rappeler que le poverello se voulait poète, et non pas théologien ; qu'il se méfiait de l'érudition livresque ; qu'il ne souhaitait pas que ses fils spirituels entreprennent des études. Dans ces conditions, se servir de ses écrits comme d'une base doctrinale sûre et certaine, c'est juste ne pas faire preuve de sérieux…
5 § 10-11 ; 62 ; 124 ; 137 ; 156 ; 159 ; 225 ; 230.
6 GRECE (Alain de Benoist et Charles Champetier), Manifeste pour une renaissance européenne. À la découverte du GRECE. Son histoire, ses idées, son organisation, Paris, 2000, p. 92. Cité par François Stéphane, « La Nouvelle Droite et l'écologie : une écologie néopaïenne ? », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2009/2 (n° 12), p. 132-143. DOI : 10.3917/parl.012.0132. URL : https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-132....
7 Ibidem, p. 92. Cité par le même article de François Stéphane.
8 Ibid.
9 On peut lire cet article ici : http://ecologiechretienne.free.fr/falk.van.gaver_pour.une...
10 Cf. « Falk Van Gaver : « Le christianisme est riche en alternatives au capitalisme » entretien avec Kévin Boucaud-Victoire publié sur Aleteia le 1er septembre 2017, que l'on peut lire à l'adresse suivante : https://fr.aleteia.org/2017/09/01/falk-van-gaver-le-christianisme-est-riche-en-alternatives-au-capitalisme/
11 Cf. « Falk, l'écologiste intégral de Raiatea », entretien publié le 30 octobre 2018 sur le site hommesdepolynesie.com, et que l'on peut lire à l'adresse suivante : http://hommesdepolynesie.com/societe/falk-l-ecologiste-integral-de-raiatea/
12 Cf. « Falk Van Gaver : « Le christianisme est incompatible avec le capitalisme et le système-argent », entretien avec Kévin Boucaud-Victoire, publié le 11 septembre 2017 sur le site Le Comptoir, et que l'on peut lire à l'adresse suivante : https://comptoir.org/2017/09/11/falk-van-gaver-le-christi...
13 Cf. « Desafios ecológicos do fim do milênio », article de Leonardo Boff paru le 12 mai 1996 dans le quotidien Folha de S.Paulo, que l'on peut consulter à la page suivante : https://www1.folha.uol.com.br/fsp/1996/5/12/mais!/3.html
14 Cf. « Les mutations en cours dans la théologie de la libération », article originellement paru dans Cencos Iglesias, avril 1996, Mexico, puis traduit en français et publié par DIAL (Diffusion de l'Information sur l'Amérique Latine), dans l'exemplaire D 2102 du 1-15 octobre 1996. On peut lire cette interview ici : http://www.dial-infos.org/05_archives/html_05texte/dialD2102.html. Je souligne.
15 On peut visionner les interventions des différents participants à l'adresse suivante : https://www.youtube.com/playlist?list=PLPHLdH2gKE0edlKOAB...
16 D'après Jeffrey Sachs, Bill Gates est intéressé par le pacte éducatif mondial. Selon le journaliste très bien informé Edward Pentin, son épouse Melinda Gates a rencontré le pape en privé en novembre 2019. Et tout le monde a pu voir cette dame s'afficher avec une croix inversée en pendentif, lors du show Today, diffusé le 8 mai 2020. C'est ce que l'on appelle pousser très loin le dialogue interreligieux…
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