Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/01/2019

Walt Disney, la subversion par petites touches (I)

   En Occident, Walt Disney fait partie de notre enfance. En effet, qui n'a jamais vu Blanche-Neige et les sept nains, ou encore Le Livre de la Jungle ? Pour beaucoup, les films Disney restent à tout jamais associés au monde de l'innocence et à la promotion de valeurs saines. L'objet de la série qui commence vise à démontrer que cette conviction va devoir faire l'objet d'une sérieuse remise en question.

   Episode 1 : Des pin-ups pour enfants

Sans titre 2.jpg

   De très nombreux personnages féminins intégralement nus

   Lors de la présentation de Zootopia au festival de Cannes 2015, John Lasseter, qui représentait Disney pour l'occasion, s'est félicité de ce que ce spectacle contienne enfin la première scène de nu des films d'animation de Disney.1 Il faisait ainsi référence à un extrait du film durant lequel a lieu la visite d'un club naturiste pour animaux : ces derniers, au lieu de porter des vêtements, comme dans de nombreuses œuvres de Disney, y font le choix de redevenir « nus »…

   Une telle assertion, en plus d'être problématique sur les plans philosophique (l'habit, et donc la nudité, sont des catégories proprement humaines) et moral (il s'agit tout de même de films destinés à la jeunesse), s'avère totalement fausse. Les scènes où l'on trouve des personnages féminins nus chez Disney existaient bien avant Zootopia. C'est le cas d'Ariel (La Petite Sirène), qui se débat sous l'eau, couverte de son seul soutien-gorge, lorsqu'elle acquiert ses jambes2. La rapidité du mouvement et le relatif éloignement de la scène, permettent de ne pas trop en voir. C'est également le cas d'Esméralda (Le Bossu de Notre-Dame) lors d'une chanson où elle apparaît dans le feu face à un Frollo proprement subjugué : lors d'une danse qui confine à un véritable strip-tease, elle se révèle tantôt vêtue de sa robe, tantôt intégralement nue, tantôt ouvrant son corsage et se cambrant en arrière dans un geste qui dévoile sa généreuse poitrine, tantôt semblant envoyer de la main un baiser au spectateur3. Les alternances entre le personnage nu et le personnage habillé, quoique très rapides, n'en restent pas moins perceptibles. De même, Destino met en scène un personnage féminin qui perd temporairement sa robe lors d'une danse4. Ce court-métrage, initialement conçu par Salvador Dali, se clôt sur une fugitive étreinte érotique entre deux personnages nus5. De telles images sont donc bel et bien visibles, même si elles passent de façon rapide – censure oblige. De manière plus subliminale, la photo d'une femme topless a depuis longtemps été identifiée dans l'arrière-plan d'une scène de The Rescuers6. Si cette dernière apparition demeure imperceptible en lecture à vitesse normale, elle invite tout de même à s'interroger sur les intentions des animateurs qui l'ont glissée là. En effet, dans une technologie où le contrôle de l'image s'effectue au vingt-quatrième de seconde près, le hasard n'existe pas. Peut-être nous reprochera-t-on de faire bien du bruit pour une image si peu visible, mais on peut également retourner la question : si elle est si peu visible, quel intérêt y avait-il à l'intégrer au montage ?

   D'aucuns invoqueront la simple blague de potache, et se rabattront sur l'argument classique qui permet de sauver l'Oncle Walt : tous ces exemples datent des années quatre-vingts, quatre-vingt-dix, mais il n'en allait pas de même du vivant du fondateur de l'empire Disney : en ce temps-là, on savait se tenir ! Là encore, rien de plus faux. Le long métrage de Disney où l'on trouve le plus de nus féminins n'est autre que Fantasia (1940), soit le deuxième de sa carrière : des centauresses au bain7, des sorcières sur leur balai8, une déesse et des harpies9, des femmes dansant dans les flammes10, des fées voltigeant dans l'air11... Là encore, les animateurs ont travaillé à des effets d'atténuation : les centauresses apparaissent à une certaine distance, les fées sont minuscules, ont des mouvements très rapides et sont souvent nimbées d'un halo de lumière. Quant aux sorcières et aux harpies, elles passent très rapidement dans le champ de la caméra. Tout ces scènes restent donc très gentilles, dira-t-on. Nous verrons plus bas qu'elles ne sont en fait pas innocentes, mais plutôt calibrées pour sembler telles.

   Donner l'envie d'en voir davantage

   Ce tour d'horizon des nus féminins explicites chez Disney ne permet pas de régler le problème de fond. Nous, adultes, avons tendance à surestimer ce que l'image montre au détriment de ce qu'elle suggère. C'est oublier que les enfants sont riches en imagination, et que leur innocence les rend vulnérables à des images que les grandes personnes pourraient juger relativement inoffensives. Ainsi, une sensualité certaine se dégage de la scène où la petite sirène arrive sur le rivage après avoir acquis ses jambes, avec pour tout habit un simple soutien-gorge. Certes, « on ne voit rien », comme diront les gens. Mais la posture lascive dans laquelle la jeune fille émerge de l'océan12, sa tentative maladroite de se mettre debout, avec ses angles de vues qui cachent tout juste ce qu'il faut, ses cadrages de précision qui coupent le bas de son corps au niveau du bas de ses hanches, sont de nature propre à jeter le trouble dans l'âme d'un jeune spectateur13. De même, la manière dont Quasimodo, lors de sa première rencontre avec Esmerada, la surprend tout à coup dans sa tente, le torse nu et vue de dos, enfilant à la va-vite un peignoir dans un mouvement qui révèle une longue jambe, ne peut que donner au jeune garçon envie d'en voir davantage14. On pourrait également citer Il était une fois, où une jeune fille, surprise nue dans sa salle de bain par un jeune homme, n'est cachée de ce dernier que par la serviette que des oiseaux viennent à point nommé tendre devant elle15.

   Là encore, les mêmes mécanismes étaient déjà à l’œuvre du vivant de Disney. Un passage très rapide de Cendrillon nous laisse apercevoir cette dernière nue de dos, ôtant d'un geste vif sa chemise de nuit et prenant son bain. La question se pose de savoir pourquoi l'on montre une telle scène aux enfants, alors que dans le même temps, les mères souris ont énergiquement congédié leurs petits afin de les empêcher de voir cette toilette16. De même, dans la séquence « All the cats join in » de Make Mine Music, la jeune fille qui sort de la douche et s'habille en dansant ne laisse pas voir grand-chose des parties intimes de son corps : tantôt elle n'est qu'une silhouette derrière le carreau de la porte de douche, tantôt la serviette dont elle s'essuie, dos au spectateur, dissimule ses fesses ; tout au plus laisse-t-elle entrevoir une partie de ses seins17. L'analyse de tous ces exemples laisse en fait entrevoir une démarche commune à tous : il s'agit pour les animateurs d'en montrer assez pour donner aux enfants envie d'en voir davantage, tout en en cachant suffisamment pour éviter les foudres de la censure.

   Le même principe préside à l'habillement de plusieurs personnages féminins. Bon nombre d'entre eux passent la plupart de leur temps à l'écran en petite tenue. Tous les prétextes sont bons pour justifier de tels accoutrements. Et tout d'abord le prétexte exotique. Lorsqu'on s'appelle Kida et que l'on est la princesse de L'Atlantide, on peut se permettre d'évoluer constamment dans une tenue qui se rapproche du bikini. Le même prétexte semble justifier les tenues provocantes de la Princesse Tamina dans Prince of Persia : les sables du temps, et celles de Dejah Thoris dans John Carter18. Il en va de même dans une moindre mesure pour l'orientale Jasmine (Aladdin), dont le décolleté laisse également voir les épaules et le ventre. Les bretelles suggestivement tombantes de son haut contribuent aussi à l'érotisation de ce personnage. Orient oblige, Aladdin met régulièrement en scène des danseuses, voire des prostituées, toutes en tenues légères, dansant souvent de manière très provocante, certaines d'entre elles allant jusqu'à frotter leurs fesses contre les parties intimes du héros, qui ne semble d'ailleurs pas s'en plaindre. On retrouve un comportement analogue dans le très bollywoodien Once upon a warrior (Anaganaga O Dheerudu), chez la jeune Priya, qui passe le plus clair de son temps à tourner court vêtue autour du héros avec moult gestes sensuels. Peut-être est-il tout autant légitime que l'indienne Pocahontas soit habillée d'une robe décolletée qui lui laisse une épaule à nu pour le haut, et qui, en plus d'être fendue en bas, ne lui arrive qu'à mi-cuisse, ce qui met perpétuellement en valeur l'intégralité de ses longues jambes... et en laisse même régulièrement deviner bien davantage sur ce personnage (qui semble ignorer l'usage des sous-vêtements) dès qu'il s'agite un tant soit peu. Les créateurs du personnage n'ont d'ailleurs pas fait mystère du fait que c'était volontairement qu'ils l'avaient dessiné de façon sexy. Ce traitement sensuel de la jeune primitive par les studios Disney ne date pas d'hier. Déjà en 1966, Lieutenant Robinson Crusoé met en scène la belle Wednesday, dont la robe (ainsi que celles de tous les personnages féminins du film) annonce en tous points celle de Pocahontas, avec les mêmes effets en cas de mouvements trop vifs de la part du personnage. Le rôle de Wednesday y est joué par Nancy Kwan, qui possédait à l'époque une réputation bien établie de sex-symbol, et avait déjà fait des apparitions en tenue légère dans la plupart des films où elle intervenait (Le Monde de Suzie Wong, Au rythme des tambours fleuris, The Main attraction, Tamahine, Honeymoon Hotel). Il ne s'agissait donc pas de l'actrice la plus indiquée pour un film destiné à des enfants. C'est dans le costume indiqué plus haut que Wednesday et ses compagnes exécutent pour les personnages masculins du film une danse assez suggestive, avec force remuements des fesses19.

   Après le prétexte exotique, vient le prétexte mythologique : n'est-il pas naturel que des sirènes (l'épisode "King Neptune" des Silly Symphonies, La petite sirène, Peter Pan) ou des centauresses (Fantasia) ne se couvrent la poitrine que d'une simple bande de tissu20, de coquillages ou d'étoiles de mer21, de fleurs22, de leurs seuls cheveux23 , ou même qu'elles ne se la couvrent pas24 ? Ne semble-t-il par normal que la Fée Clochette se trémousse d'un bout à l'autre de Peter Pan dans une robe extrêmement courte qui laisse régulièrement entrevoir ses dessous ? Cela n'a rien d'étonnant si l'on prend en considération le fait que ce personnage a été totalement inspiré du sex-symbol Marilyn Monroe, d'après les affirmations de Walt Disney lui-même25. Quant aux Muses du film Hercule, leur robe généreusement fendue laisse en au moins une occasion voir bien davantage que leurs seules jambes... pour la plus grande satisfaction des personnages masculins qui les entourent (est-ce bien souhaitable de montrer cela à de jeunes garçons, au moment même où on leur apprend qu'il ne convient pas de regarder sous les jupes des filles ?)26.

   Puis c'est le tour du prétexte artistique : peut-être est-il tout naturel que la créature ailée du court-métrage "Le Papillon et la Flamme" (Silly Symphonies, 1938) soit dessinée et animée sur le modèle des danseuses de cabaret, réalisant un numéro de "French cancan" sur le nez d'un masque, qui semble contempler ses dessous avec une expression libidineuse. On trouve une scène analogue dans Pinocchio ; cette fois-ci, c'est le très exemplaire Jiminy Cricket (censé être la conscience de Pinocchio) qui va chausser ses lunettes pour mieux profiter du spectacle. Peut-être n'y a-t-il pas à s'offusquer de la présence de Jessica Rabbit, la pin-up aux formes plantureuses du film Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, dans des courts-métrages signés Disney, où sont privilégiés des cadrages mettant en valeur ses longues jambes dénudées. Et sans doute est-il logique que la danseuse Esmeralda ait un décolleté si largement ouvert par le haut qu'il lui laisse les épaules nues… Dans la production indienne Anybody can dance 2, sans doute n'y a-t-il rien d'indécent à ce que de jeunes danseuses, souvent habillées comme des prostituées, se trémoussent de manière lascive à longueur de chanson.27 Bien sûr, le jeune spectateur « ne voit rien ». Mais il en voit déjà beaucoup.

   Une charge sensuelle savamment dosée

   Ces créatures des studios Disney subissent un processus de calibrage qui n'en annule pas toute la charge sensuelle, mais qui se contente, en intervenant souvent a posteriori, de la rendre plus implicite, plus subliminale et de la réduire dans des limites acceptables pour la censure. Il fonctionne comme un filtre apposé après coup sur une image conçue dès le départ pour susciter le trouble du spectateur. Il ne gomme pas la dimension lascive, il l'atténue. Quelques exemples vont démontrer le fait que c'est bien une telle logique qui préside à la représentation de certaines héroïnes de Disney. Dans la scène déjà mentionnée où Ariel sort de l'océan, le spectateur la découvre assise sur le rivage, de trois quarts face à lui : elle ne porte pas de slip et lève une jambe qu'elle contemple en souriant, dans une pose qui rappelle celle des pin-ups28 mais cette pin-up, en plus d'être regardée par de jeunes enfants, n'a que seize ans, et c'est là un problème que l'on rencontre régulièrement chez Disney. Les celluloïds qui ont servi à l'élaboration de cette scène, et sur lesquels elle a été peinte à la main, ont fait l'objet d'une vente aux enchères29. À l'examen, ils nous révèlent bien une Ariel avant le processus de calibrage évoqué plus haut. Ce dernier a simplement consisté, au montage définitif, à revoir le cadrage en coupant le bas de l'image, juste ce qu'il faut pour que les fesses de la jeune fille n'apparaissent pas à l'écran. La même logique se retrouve quelques instants auparavant dans l'histoire, lorsqu'elle émerge de profil de l'océan, vêtue de son seul soutien-gorge, dans une pose extrêmement lascive qui la cambre en arrière, poitrine bombée, bouche ouverte, yeux fermés et cheveux au vent. Là encore, les croquis de Peter Gullerud, l'artiste Disney qui a travaillé sur cette scène, ne cachent pas grand-chose de l'anatomie de la princesse30. Pour estomper cette sensualité, la version animée de ce moment n'a fait que couper le bas du dessin, dans un cadrage millimétré qui révèle tout de même fugitivement le haut des fesses et du pubis. Ce n'est qu'au plan suivant que l'ensemble du corps apparaît, vu de plus loin. De quoi troubler tout de même de jeunes garçons…

   On trouve la même logique de calibrage après coup dans l'élaboration du personnage d'Esméralda. Voici ce que Floyd Norman, qui a participé à l'animation du Bossu de Notre-Dame, raconte sur le personnage d'Esmeralda, vraisemblablement en pensant à la scène où Frollo la contemple en train de danser dans le feu :

Cependant, le numéro de danse d'Esmeralda était un autre défi. Le personnage était très chargé sexuellement et bougeait d'une manière très provocante. Dessinée avec amour par Chris Sanders, la gitane osée était une source de préoccupation pour les femmes cadres de Disney. Hé, c'est Disney, pas la Chaîne Playboy ! De plus en plus de vêtements ont été ajoutés à Esmeralda dans l'espoir de diminuer sa sensualité.31

On le voit, la correction du personnage ne visait absolument pas à supprimer sa sensualité, mais uniquement à l'atténuer, à la rendre admissible aux yeux du public. En outre, le choix du dessinateur Chris Sanders n'a rien d'innocent. Une rapide recherche sur la production de ce dernier nous révèle un artiste au coup d’œil sensuel, créateur de nombreuses pin-ups aux courbes plantureuses32. De toute évidence, ce n'était pas sur lui qu'il fallait compter pour éduquer les jeunes spectateurs à la chasteté du regard.

   Le personnage de Blanche-Neige lui-même n'échappe pas à ces savants calculs. Dans son ouvrage consacré à Walt Disney, Neal Gabler raconte comment ce dernier a sciemment confié la création de la jeune princesse à deux dessinateurs aux visions antagonistes : Ham Luske, qui voyait essentiellement en Blanche-Neige un personnage enfantin ; et Grim Natwick, qui s'était déjà fait connaître par ses animations de la sensuelle Betty Boop et voulait dessiner une Blanche-Neige plus mature, plus femme, et à l'anatomie plus perceptible. Le résultat est un compromis entre ces deux conceptions33. Le magazine Life du 4 avril 1938 nous révèle des photographies de Marjorie Belcher, la jeune femme qui a servi de modèle pour Blanche-Neige, lors de sa venue aux studios Disney.34 Là encore, la comparaison entre ce modèle court vêtu et le résultat à l'écran révèle qu'un travail de calibrage a eu lieu pour mettre en sourdine la dimension sensuelle de la jeune princesse.

   Des personnages faits pour provoquer

   Que certains personnages soient dessinés de manière provocante, c'est aussi ce dont atteste la réaction des personnages masculins qui les entourent. La princesse Kida se voit ainsi obligée de donner un coup de poing à un personnage venu lui murmurer à l'oreille ce que l'on devine être des propositions obscènes35. De même, voyant danser Esméralda dans une robe moulante qui ne cache pas grand chose de son anatomie, tandis que l'hypocrite Frollo s'écrie : « Vous voyez cet écœurant spectacle », Phoebus, les yeux ronds, lui lance un enthousiaste : « Oh, que oui ! » La Belle et la Bête (1991) multiplie les situations où des hommes lorgnent sur les dessous ou sur le décolleté des jolies femmes aux formes rebondies qu'ils croisent 36. Que ces personnages féminins soient conçus de manière à susciter les fantasmes des spectateurs, c'est aussi ce que révèlent les très abondantes productions de fan-art présentes sur internet : un grand nombre d'entre elles accentuent la dimension sexy de ces personnages ou les représentent dans des situations carrément érotiques. Il serait trop facile d'accuser la seule lubricité de ces fans. Comme on vient de le voir, ceux-ci ne font qu'expliciter la sensualité latente mais bien réelle de ces dessins animés.

   Peut-être certains prétendront-ils que ces images n'ont pour dimension lascive que celle que le spectateur veut bien leur prêter. Mais c'est précisément la grande force (et pour mieux dire, la grande perversité) des films Disney que celle de donner l'impression au jeune garçon en émoi que c'est lui seul qui est en train de souiller de son regard impur un spectacle qui resterait inoffensif en lui-même. Cette impression tient en fait à une esthétique particulière du nu féminin souvent utilisée dans les premiers Disney : celle de la jeune fille à la fois innocente et sexy (sur ce thème, voir la déclaration du dessinateur Richard Pini plus bas).

   Walt Disney lui-même n'était pas en reste dès lors qu'il s'agissait de mettre en scène des personnages sensuels. Voici ce que Neal Gabler rapporte à propos de la conception de la séquence de Fantasia consacrée à Casse-noisette :

Le final serait un ballet de fleurs suivant les fleurs au fil des saisons. Comme Walt le décrivait, une « ballerine sort - une belle fille gracieuse - et elle met un peu de sexe dans la foutue chose ... Quand elle se retourne, vous voyez sa culotte et son petit derrière - ce sera de la houle ! Le public va être en délire si vous pouvez lui faire ressentir du sexuel dans une fleur. »37

Cette remarque a toute son importance : si le spectateur détecte une certaine dimension érotique dans ce ballet où de petites fées évoluent constamment nues à l'écran38, ce n'est pas parce qu'il a des idées mal placées, mais bien parce que la séquence a été ainsi pensée depuis le début par Walt Disney lui-même. Dans la bouche de celui qui a inventé le long métrage d'animation pour enfants, de tels propos ont tout de même de quoi surprendre et choquer.

   Voler sous les radars de la censure

   Ce qui importe depuis toujours aux créateurs des studios Disney, ce n'est absolument pas de transmettre aux enfants un regard chaste sur les femmes, mais de ne pas se faire épingler par la censure. D'après Douglas Brode, la scène de la douche dans All the cats join in (1946)39 est pour son époque d'une audace incroyable : « Disney a graphiquement présenté l'anatomie féminine d'une manière qu'aucun autre réalisateur hollywoodien de cette époque n'aurait osé tenter, et encore moins pu réaliser à l'écran »40. Cette scène a d'ailleurs valu à Disney une lettre d'admonestation de la Production Code Administration, l'organe de censure américain, qui demandait qu'elle soit éliminée de la séquence. Mais elle a été validée par la suite. Il s'en est fallu de peu. En l'occurrence, Disney se trouvait plutôt à l'avant-garde qu'à l'arrière-garde de la « libération des mœurs ».

   De même, les centauresses de Fantasia, qui devaient originellement évoluer seins nus d'un bout à l'autre de la « Symphonie Pastorale », et non simplement lors de la scène de baignade, ont également attiré les remontrances de la censure. C'est la Commission Hays qui a demandé à ce que la poitrine de ces jeunes créatures soient couvertes. En outre, les artistes Disney, afin d'éviter tout problème ultérieur avec la censure, ont renoncé à représenter des tétons sur les seins des baigneuses, tout en décidant de les maintenir sur les harpies, les sorcières et autres créatures maléfiques du reste du film41. Bel exemple d'hypocrisie !

   Pour contourner la censure, les animateurs de chez Disney ont parfois recours au subterfuge suivant : remplacer les humains dénus par des animaux représentés de manière anthropomorphique. C'est le cas dans la scène du club des animaux naturistes de Zootopia42, où les cadrages et les poses employées demeurent propres à faire travailler les jeunes imaginations. C'est également le cas dans Basile, Détective privé, lors du strip-tease accompli devant un public enthousiaste… par une souris, Miss Kitty, sur une chanson aux paroles extrêmement suggestives : « Laissez-moi vous gâter » (« Let me be good to you »).43 Comme par hasard, c'est la chanteuse Madonna, bien connue pour ses frasques sexuelles, qui devait à l'origine prêter sa voix à ce personnage. En raison de son accent américain qui ne convenait pas au personnage censé être britannique, elle a finalement été écartée au profit de Melissa Manchester44. Ces tours de passe-passe anthropomorphiques ont permis aux studios Disney d'intégrer à leurs productions des scènes sensuelles qui, autrement, n'auraient jamais pu franchir la barrière de la censure.

   Les très jeunes pin-ups de Fred Moore

   Il devient très clair que ces spectacles n'ont rien d'innocent dès lors que l'on se penche sur les intentions des animateurs. Il faut en effet savoir que des personnages tels que les jeunes centauresses de Fantasia et les sirènes de Peter Pan n'ont été créés par personne d'autre qu'un certain Fred (parfois Freddie, ou Freddy) Moore (1911-1952)45. La jeune fille qui prend sa douche dans Make Mine Music constitue aussi une de ses créations46. Or, voici ce que signale, à la référence 4042 (p. 13) le Heritage Comics Auctions #815 Pini Collection Catalog47, qui vend notamment aux enchères les dessins originaux des artistes de Disney à des prix ahurissants :

L'un des « neuf sages » de Disney, Fred Moore, avait l'habitude d'esquisser des jeunes femmes légèrement vêtues ou même nues dans ses temps libres. Ces « Freddie Moore Girls » sont devenues des objets de collection très prisés par le personnel du studio Disney. Cependant, la plus proche que l'on ait jamais eue sur film était dans l'une des centauresses de la séquence "Symphonie pastorale" de "Fantasia" ou de la séquence "Make Mine Music", "All the Cats Join In". Les six dessins présentés ici sous le titre collectif "Disney nudes" ont été dessinés par des artistes de la maison Disney, et mettent en vedette des jeunes femmes ayant un point commun... elles sont soit complètement nues, soit en train de devenir nues. C'est un côté du personnel artistique de Disney qui est rarement, voire jamais, vu, et il est certain de donner lieu à une enchère fougueuse! Dessinés au crayon principalement rouge sur du papier d'origine Disney, ces croquis de 10' x 12' sont en très bon état. De la collection de Richard et Wendy Pini. Richard dit: « Cette collection délirante de "c'est comme ça que nous utilisons notre temps libre" de divers artistes de Disney était trop cool pour la laisser passer. Aussi sexy et innocents, ces dessins me parlent d'un moment de l'histoire de l'animation qui hélas, n'est plus. »48

Cette notice livre un certain nombre d'éléments dignes d'attention. Elle nous apprend que les artistes Disney, et non le seul Fred Moore, se livraient volontiers à des dessins de nus durant leur temps libre, et que certains personnages des dessins animés ont été directement inspirés de ces activités subalternes.

   Quoi de plus naturel, demandera-t-on, que des dessinateurs s'intéressent, dans le cadre de leurs travaux, à l'anatomie féminine ? Cela ne doit-il pas faire partie de leur formation ? De telles objections tombent dès lors que l'on se penche un tant soit peu sur la production de dessins d'un Fred Moore. Parmi ceux qui circulent encore sur le marché de l'art, une quantité phénoménale d'entre eux, difficilement quantifiable, représente des nus féminins. Plus que simple souci de ne pas perdre la main, l'intérêt de Fred Moore pour ce genre semble donc bel et bien avoir tourné à l'obsession. De plus, ces images ne représentent pas de simples études anatomiques : elles dépassent souvent cette dimension et trahissent une volonté certaine de dessiner du sexy, parfois dans des scènes de nudité collective. Enfin, et c'est peut-être la dimension la plus choquante de cette production, à une écrasante majorité, ces dessins de Fred Moore représentent non pas des femmes faites, mais de jeunes, voire de très jeunes adolescentes49, ce qui n'empêchait pas ses collègues de les épingler sur leur lieu de travail afin de mieux se rincer l’œil50.

   Ce n'est donc pas un hasard si le jeune spectateur ressent un trouble face aux jeunes centauresses à peine nubiles de Fantasia, ou face aux sirènes de Peter Pan, les unes et les autres souvent représentées dans des poses de pin-ups : ces personnages constituent la traduction directe à l'écran des fantasmes sexuels des dessinateurs Disney, et notamment ceux de Fred Moore. Cette conclusion est corroborée par la déclaration suivante sur les centauresses, trouvée dans le bulletin qui circulait à l'époque dans les studios Disney : « ils ont mis des soutiens-gorge et des guirlandes sur les filles, mais à part ça, elles sont pratiquement les mêmes que lorsqu'elles étaient suspendues en photocopies dans diverses salles du studio. »51 En effet, malgré le travail de calibrage destiné à contourner la censure en évitant une excessive visibilité (par l'ajout des fameuses guirlandes, par les jeux sur la vitesse des mouvements, l'éclairage, la distance, etc...), la dimension puissamment érotique de ces personnages passe bel et bien dans des œuvres destinées à des enfants. En témoignent les nombreuses œuvres de fan-art mentionnées plus haut. Celles-ci ne constituent que l'écho ou le miroir, en aval du dessin animé, d'une autre collection de pin-ups, tout aussi abondante, située, elle, en amont : celle produite par les artistes Disney eux-mêmes.

   Culture pornographique aux studios Disney

   Nous disons bien « les artistes » au pluriel, car il serait faux de penser que Fred Moore est le seul concerné. Durant ses années aux studios Disney, Paul Murry s'est lui aussi illustré dans le genre des pin-ups52, mais a également produit un certain nombre de dessins humoristiques représentant des gags à caractère sexuel53. Et il était loin d'être le seul, avec Moore, à se complaire dans les représentations de nus féminins54. Dès les années 30, les studios Disney publiaient un journal interne à caractère satirique, le Mousetrap, dans lequel ils n'hésitaient pas à inclure des dessins de ce style55. Durant la seconde guerre mondiale, ils envoyèrent une affiche de dessins de pin-ups à tous leurs membres engagés dans les forces armées56. Ces derniers éléments montrent bien que de telles activités dépassent de simples initiatives personnelles : elles font dès le début partie de la culture des studios Disney. Selon certains souvenirs, les dessins pornographiques auraient commencé au moment où l'équipe travaillaient sur « The Goddess of Spring », qui date de 1934 !57

   Dans son livre Walt Disney, the triumph of the American imagination, Neal Gabler dresse un panorama peu édifiant des diverses activités pratiquées au studio par les animateurs dès l'époque de Blanche-Neige :

Les animateurs et les scénaristes trouvaient deux autres moyens de se consoler des pressions qu'ils subissaient - la boisson et le sexe. Typiquement, les animateurs buvaient beaucoup, à la fois pour soulager leur tension et pour relâcher leurs inhibitions ; l'alcoolisme était pratiquement un danger professionnel, bien qu'il puisse aussi avoir quelque chose à voir avec le fait que le genre d'hommes qui étaient attirés par l'animation étaient susceptibles d'être émotionnellement rabougris et solitaires, perdus dans leur propre tête. Tous les après-midis, à quatre heures, un livreur apportait de la bière aux animateurs, et ils se retiraient souvent au Bar de Leslie près du studio. "Peut-être que plus d'idées se sont vues noyées que nées dans nos incursions fréquentes dans les bars favoris afin de trouver de l'inspiration liquide", se rappelait Jack Kinney. "Mais d'une manière ou d'une autre, le lendemain, nous déversions nos nouvelles idées, tout comme le barman avait versé les boissons lors de la soirée précédente." Lorsqu'ils étaient saouls, ils étaient aussi émoustillés. De temps en temps, quelqu'un apportait un film pornographique au studio, et les animateurs restaient assis, captivés. D'autres fois, pour soulager leur stress, ils passaient des heures à faire des dessins pornographiques mettant en scène les personnages de Disney. Même si une politique informelle interdisait le mélange d'employés masculins et féminins (un groupe important de jeunes femmes travaillaient à l'encre et à la peinture), les animateurs ne manquaient jamais de compagnie féminine - ce que Jack Kinney appelait « tremper son stylo dans l'encrier de la bonne compagnie ». (D'après Kinney, les animateurs qui emmenaient leurs copines aux hôtels signaient souvent le registre « Ben Sharpsteen », en utilisant le nom de leur ancien superviseur, qui était leur ennemi.) Un employé a dit qu'il connaissait au moins trente-cinq couples au studio, où « les flèches de Cupidon frappaient fort et souvent. » Beaucoup d'entre eux ont fini par se marier, bien que les rapports sexuels occasionnels constituaient l'issue la plus probable. Répondant à un questionnaire, Milt Kahl a fait figurer « rapports sexuels » dans la liste de ses passe-temps, et Art Babbitt, par sa réputation de playboy, a gagné un certain prestige parmi ses collègues.58

À ce moment-là, certains des animateurs étaient si engourdis qu'ils se soulageaient en faisant des croquis d'une Blanche-Neige nue entourée de nains en érection - un moyen, selon Ward Kimball, de défier la perfection suffocante du monde de Walt Disney.59

Walt a également fourni un gymnase au dernier étage, où un entraîneur suédois nommé Carl Johnson dirigeait des séances d'entraînement et un espace sur le toit où les animateurs pouvaient bronzer nus, ce qu'ils ne manquaient pas de faire.60

   Dans le livre Animated life, écrit par l'animateur Floyd Norman, on trouve une photographie de celui-ci en compagnie d'un collègue, tous deux penchés sur un numéro du magazine Playboy. Voici ce qu'indique la légende : « Tout bon artiste devrait être au point en ce qui concerne l'anatomie. Rick et Floyd prennent leurs études au sérieux. »61 Ben voyons…

   Conclusion

  Peut-être certains trouveront-ils que voilà bien du bruit pour quelques images somme toute assez inoffensives, en regard du déluge pornographique qui submerge actuellement notre société. Mais c'est précisément parce que ces images ont l'air inoffensives, et parce que de trop nombreux parents font aveuglément confiance à Disney, que ces lignes valaient la peine d'être écrites. L'air de rien, les films Disney ne disposent pas les jeunes garçons à poser un regard chaste sur les femmes. Quant aux jeunes filles, elles se voient encouragées dans l'idée qu'il faut être sexy pour être digne d'intérêt. La montée en puissance de ce que certains nomment « l'effet Lolita », qui n'est au fond rien d'autre que l'adoption par de très jeunes filles de codes vestimentaires et comportementaux se rapprochant de ceux de la pin-up, a en effet de quoi inquiéter…62

 

NOTES :

AVERTISSEMENT : les liens qui suivent renvoient majoritairement vers des images de personnages féminins entièrement ou partiellement dénudés.

1 Cf. l'article « Cannes 2015: Disney unveils Toy Story 4 – and their first nude scene », écrit par Henry Barnes et publié le 20 mai 2015 sur le site du journal The Guardian. On peut lire cet article en cliquant ici.

7 Section « The pastoral Symphony ». Cf. l'animation en lien. Voir l'ensemble de la séquence image par image. Voir aussi cette image.

8 Section « Night on bald mountain ». Cf. cette image en lien, ainsi que celle-ci.

10 Ibid. Cf. cette vidéo en lien et celle-là. Voir aussi cette image, celle-ci, celle-ci, ou encore celle-là et celle-là.

11 Section « Dance of the Sugar Plum fairy ». Cf. cette animation, celle-ci, celle-là ou encore cette image, celle-ci, celle-là, celle-là ou celle-là parmi bien d'autres.

18 Cf. par exemple cette image et celle-ci pour Kida, celle-ci et celle-là pour Tamina, celle-ci, celle-ci, celle-là et celle-là pour Dejah Thoris.

19 Cf. cette image et celle-ci pour Jasmine. Pour les autres personnages d'Aladdin évoqués, cf. cette image et cette animation, cette vidéo, celle-ci, cette animation, celle-ci et celle-là, ainsi que cette image et celle-ci. Cf. aussi l'image qui ouvre cet article. Pour Priya, voir à titre d'aperçu les photos et les vidéos présentes sur cette page. Pour Pocahontas, voir cette image, celle-ci, celle-là, celle-là, celle-là, celle-là, celle-là, celle-là ou encore celle-là, ainsi que cette vidéo. Voir également cette interview de Glen Keane, qui a supervisé l'animation du personnage, et qui précise que la dimension sexy du personnage est bien intentionnelle : ”We’re doing a mature love story here, and we’ve got to draw her as such. She has to be sexy.” Concernant Nancy Kwan, voir la bande annonce de Lieutenant Robinson Crusoé, celle du Monde de Suzie Wong (pour ce premier film de Nancy Kwan, voir aussi ici une anecdote de tournage très révélatrice, où l'actrice a failli se faire renvoyer du tournage parce qu'elle ne portait pas des sous-vêtements suffisamment aguichants au goût du réalisateur Richard Quine), celle d'Au rythme des tambours fleuris, les affiches du film The Main Attraction (ici et ), la bande-annonce de Tamahine, celle de Honeymoon Hotel.

25 Cf. cette animation et celle-ci. Cf. WATTS, Steven, The Magic Kingdom: Walt Disney and the American Way of Life, Boston : Houghton Mifflin, 1997, p. 330 (page en lien).

26 Cf. cette animation, cette image et celle-ci qui la suit immédiatement.

27 Cf. cette vidéo pour "Le Papillon et la flamme", cette vidéo pour Pinocchio, cette vidéo, celle-ci et celle-là pour Jessica Rabbit, et cette animation et cette image pour Esméralda. Pour ABCD 2, voir cette vidéo, celle-ci, celle-là, ou encore cette autre.

28 Cf. cette vidéo.

29 Cf. Heritage Auctions, lots #95211, #95199, #94300 et #95247.

30 Croquis vendus le 28 août 2011 sur Etsy ici.

31 NORMAN, Floyd, Animated Life: A Lifetime of Tips, Tricks, and Stories from a Disney Legend, Londres et New-York, 2013, Focal Press (Taylor & Francis Group), p. 111. Traduit de l'anglais.

32 Cf. ses dessins sur le site Comicartfans ici et , son site internet ou encore les différents sketchbooks qu'il a vendus.

33 GABLER, Neal, Walt Disney, the triumph of the American imagination, New York, A. A. Knopf, 2007, p. 248-249. Traduit de l'anglais.

34 Magazine Life du 4 avril 1938, article « Snow White sets record, here is her model », p. 18-19. On peut lire cet article ici.

36 Pour Le Bossu de Notre-Dame, cf. cette vidéo, cette image, celle-ci, celle-là, ou cette autre... Voir aussi cette image éloquente, extraite du story-board que Vance Gerry a conçu pour cette scène. Pour La Belle et la Bête, voir cette image, cette autre, celle-ci, celle-là ou encore celle-là.

37 GABLER, Neal, Walt Disney, the triumph of the American imagination, New York, A. A. Knopf, 2007, p. 311. Traduit de l'anglais.

38 Cf. cette vidéo, ou encore celle-ci, qui correspond à ce que Walt Disney décrit. Voir aussi cette image, celle-ci et celle-ci.

40 BRODE, Douglas, Multiculturalism and the Mouse, Race and Sex in Disney Entertainment, Austin, University of Texas Press, 2005, p. 126. Traduit de l'anglais.

41 Cf. PILLING, Jayne (éd.) A reader in animation studies, London : John Libbey, 1997, p. 253-254. (l'extrait peut être lu ici) ; voir aussi KOENIG, David, Mouse Under Glass, Secrets of Disney Animation & Theme Parks, Bonaventure Press, 1997, p. 44 ; ou encore PINSKY, Mark I., The Gospel according to Disney, Faith, Trust, and Pixie Dust, Louisville (Kentucky), Westminster John Knox Press, 2004, p. 36. (On peut lire cette page ici)

43 Cf. cette vidéo pour la version anglaise, celle-ci pour la version française. On remarquera au passage un jeu de mots coquin et intraduisible. « Hey fellas, I'll take off all my blues ! », lance au public la chanteuse, justement toute vêtue de bleu.

44 Cf. HISCHAK, Thomas S., Disney Voice Actors, A Biographical Dictionary, Jefferson (North Carolina), Mc Farland, 2011, p. 134, entrée « Melissa Manchester » (on peut lire cette page ici).

45 Cf. ce dessin de centauresse de Fred Moore, acheté par Mark Mayerson, et ces dessins d'une sirène de Peter Pan, vendu aux enchères sur le site Heritage Auctions (lot #96028).

46 Cf. ce dessin de Fred Moore, vendu en mai 2017 sur le site Howard Lowery, sous le n°4642372.

47 Ce catalogue est consultable ici.

48 Traduit de l'anglais.

49 On pourra, si vraiment l'on souhaite se convaincre de ces différents éléments, avoir un petit aperçu de cette abondante production en consultant les liens suivants : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.

50 CANEMAKER, John, Walt Disney's Nine Old Men and the Art of Animation, 2001, Disney Editions, p. 217.

51 Cf. PILLING, Jayne (éd.) A reader in animation studies, London : John Libbey, 1997, p. 253-254 (l'extrait peut être lu ici ; les références exactes du bulletin ici, à la note 31). Traduit de l'anglais.

52 Voir par exemple ces images : 1, 2, 3.

53 Voir par exemple ces images : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

54 Voir par exemple ces images : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

55 On en trouvera un exemplaire ici.

56 On trouvera cette affiche ici.

57 CANEMAKER, John, Walt Disney's Nine Old Men and the Art of Animation, 2001, Disney Editions, p. 95.

58 GABLER, Neal, Walt Disney, the triumph of the American imagination, New York, A. A. Knopf, 2007, p. 239-240. Traduit de l'anglais.

59 Idem, p. 264. Cette information provient du livre suivant : KIMBALL, Ward, Wonderful World of Walt Disney, p. 269. Traduit de l'anglais.

60 Idem, p. 323.

61 NORMAN, Floyd, Animated Life: A Lifetime of Tips, Tricks, and Stories from a Disney Legend, Londres et New-York, 2013, Focal Press (Taylor & Francis Group), p. 8-9. Traduit de l'anglais. On peut lire cette page ici.

62 DURHAM, M. Gigi, The Lolita effect, Londres, Overlook press, 2008, 286 p. La compagnie Disney y figure en bonne place, notamment ici et .

26/09/2018

Saint Paul VI ?

Paul VI.jpg

   Le 14 octobre prochain, le pape François entend canoniser son prédécesseur Paul VI. « Nous aussi, plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme », avait proclamé ce dernier pour clôturer Vatican II (le 7 décembre 1965), dans une expression qui synthétisait parfaitement le concile.

   Après avoir entendu ces propos dans la bouche du Vicaire du Christ, on se trouve en droit de se poser quelques questions sur sa sainteté.

   Il y a bien sûr les doutes étayés de l'Abbé Philippe Toulza sur certains épisodes de la vie de Paul VI (ici et ), mais que voulez-vous ? L'Abbé Philippe Toulza est un affreux traditionaliste, membre de la sulfureuse Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Rien d'étonnant donc à ce qu'il ait voulu la peau du pape Montini. Passons.

   Vu sur KTO !

   Tournons-nous plutôt vers une télévision au-dessus de tout soupçon d'intégrisme : KTO. Le 19 octobre 2014, jour même de sa béatification, la chaîne religieuse diffuse un numéro de « La Foi prise au mot » consacré au pape du concile. Régis Burnet y reçoit deux invités : Christophe Henning, journaliste pour Pèlerin Magazine, et Philippe Chenaux, qui enseigne l'histoire de l’Église moderne et contemporaine à l'Université Pontificale du Latran, « l'université du pape », comme le précise le présentateur dès la première minute. Cette fois-ci, nous voici donc en bonne compagnie. Ouf !

   Les vingt-quatre premières minutes de l'émission se déroulent sans incident notable, lorsque tout à coup, pendant quelques instants, l'échange prend des allures proprement surréalistes :

   Philippe Chenaux : [Paul VI] a une très grande influence sur Pie XII dans ces années (à la fin de la guerre, au début des années 50)…
   Régis Burnet : Et puis… ?
   Philippe Chenaux : … ce qui déplaît à certains au sein de la Curie. Il y a quand même un parti (on l'appelle comme ça : le Parti Romain, il Partito Romano), qui est très hostile à Montini, et qui cherche l'occasion de sa disgrâce, de l'éloigner de la Curie, et finalement…
   Régis Burnet : Alors, voilà : qu'est-ce qui se passe en 54 ?
   Philippe Chenaux : Bon, les archives ne sont pas ouvertes sur cette période. Il y a toute une série d'hypothèses qui ont été émises, qu'on peut discuter, aucune n'est absolument convaincante. Il semble que, je crois, ce qui est plus ou moins sûr, c'est qu'à un moment donné, il a perdu la confiance de Pie XII. Il a perdu la confiance de Pie XII…
   Régis Burnet : Et on ne sait pas pourquoi ?
   Philippe Chenaux : On ne sait pas pourquoi. Et donc Pie XII a pris la décision de l'éloigner de la Curie…

   Arrêtons-nous un instant et relisons calmement ce qui précède. En moins d'une minute, l'air de rien quoiqu'un tantinet gêné aux entournures, l'historien de « l'Université du pape » délivre deux informations ahurissantes :

   1) En 1954, Jean-Baptiste Montini perd la confiance de Pie XII, au point que ce dernier l'éloigne du Vatican.

   2) On ne sait pas pour quelle raison, parce que les archives du Saint-Siège sur cette période ne sont pas ouvertes !

   Lu aux Éditions du Cerf !

En mai 2015, Philippe Chenaux publie aux prestigieuses Éditions du Cerf un ouvrage de 432 pages : Paul VI. Le Souverain éclairé. Avec un tel titre, pas de danger que l'auteur du livre se révèle hostile au pape du concile ! Penchons-nous donc sur cette étude. Dès les premières pages, on y apprend que l'historien a eu accès au dossier du procès de béatification (appelé Positio) :

   "Le postulateur de la cause de béatification de Paul VI, le père Antonio Marasso, a aimablement accepté de mettre à ma disposition les cinq gros volumes de la Positio, avec les dépositions de plus de deux cents témoins." (source)

   Mais n'espérez pas pour autant apprendre la raison pour laquelle Pie XII a éloigné le futur Paul VI du Vatican. Sur ce point, Philippe Chenaux avoue son ignorance :

   "À l'automne 1954, à la suite d'une série d'épisodes encore peu clairs pour l'historien faute d'un accès direct aux archives vaticanes et alors que s'ouvrait une nouvelle phase de la politique italienne et européenne, les tenants du "parti romain", depuis toujours hostiles à sa personne et à son action, finirent par obtenir son départ de la Curie." (source)

   Bien sûr, Philippe Chenaux ne se fait pas faute d'insister sur l'opposition rencontrée par Jean-Baptiste Montini à la Curie : de toute évidence, on a fait de lui des rapports défavorables qui lui ont nui dans l'esprit de Pie XII. La situation n'est pas sans rappeler le récent document de Mgr Carlo Maria Viganò contre le Pape François, dont certains médias nous répètent à l'envi qu'il a été dicté par une véritable rancœur à l'égard du pape argentin. Mais dans l'un et l'autre cas, on oublie le fond du problème, qu'une brève question peut pourtant résumer : ces rapports sont-ils vrais ? Et dans le cas de Montini, ajoutons la question suivante : que contenaient ces rapports ? Sur la cause décisive de l'éloignement du futur Paul VI par Pie XII, Philippe Chenaux s'en tient à des conjectures. Attendu que l'universitaire a eu entre les mains les pièces du procès de béatification, une telle ignorance n'est pas faite pour rassurer les fidèles…

   Les « Observations complémentaires » de Monsignor Mazzotta

   Un article de Stefania Falasca, publié le 12 mai 2014 sur le site du journal italien Avvenire, nous en apprend un peu plus sur la procédure de béatification du pape Montini. La fin de ce texte révèle notamment la présence d' « Observations complémentaires » (aussi appelées Questiones selectae), étudiées sous la direction de Monsignor Mazzotta. Ces dernières traitent des « objections avancées par des témoins, ou relatives aux moments problématiques de la vie du Serviteur de Dieu ». Et parmi ces moments problématiques est justement mentionnée la « nomination à l'archevêché de Milan » de Montini, autrement dit, son éloignement de la Curie romaine. Donc la question a été abordée par les enquêteurs. Ont-ils pu accéder aux archives vaticanes de 1954 ? Quelles sont leurs conclusions ?

   Dans un entretien (« Le tre passioni di Paolo VI ») avec Andrea Acali publié le 18 mai 2018 sur le site InTerris.it, Monsignor Guido Mazzotta, rapporteur de la cause de Paul VI, s'étend un peu plus sur les raisons de l'exil milanais :

   "Que s'est-il passé ? Il faut garder présents à l'esprit la dynamique des dernières années de la guerre, la situation italienne et l'organisation de l'apostolat. Montini venait de la FUCI, que l'on peut définir comme un environnement plus « libéral », de l'autre côté il y avait Gedda, ce qu'on appelait le parti romain, le pentagone du Vatican. On envisageait pour l'Italie d'après-guerre une solution conservatrice de type portugaise, salazarienne, tandis que Montini voulait lier complètement l’Église et le laïcat catholique à la démocratie. Il se trouvait ainsi tout naturellement en position d'interagir avec De Gasperi. Ils ne se rencontraient pas souvent mais ils échangeaient des messages. L'aile droite de la Curie était opposée à De Gasperi (nous parlons des années 44 à 46). Il se trouvait même favorable à une double représentation politique des catholiques, parmi laquelle les catholiques communistes de Franco Rodano, le conseiller de Togliatti. Mais enfin, Pie XII était à l'écoute de Montini. Après la victoire de la DC et de Gedda aux élections de 1948, Pie XII eut de plus en plus peur de voir la municipalité de Rome tomber aux mains des communistes. L'idée était de faire une liste, conduite par Sturzo, et qui aurait compris toute les forces anti-communistes, de la DC au MSI. Et là, on raconte que Montini s'employa à faire échouer le projet. Sturzo se retira le jour où le délai pour se porter candidat expirait et l'affaire tomba à l'eau. Il y avait donc de la tension. C'est sur cet arrière-plan qu'il faut repenser la destination milanaise de Montini. Trois personnalités particulièrement significatives convergent sur un point : le cardinal Siri, affirme l'un de ses biographes, déclara à propos de « l'exil » de Montini qu'il avait entendu parler de motifs politiques, parce qu'il avait rencontré des leaders du communisme international à l'insu du Souverain Pontife. Le cardinal Casaroli, qui se réfère à des bruits entendus à la Secrétairerie d’État, affirme une chose analogue. L'archéologue Margherita Guarducci, fille spirituelle de Montini, dit la même chose. C'est ainsi qu'il m'est venu à l'esprit de vérifier la correspondance avec don De Luca, qui a été publiée. J'ai commencé en juin 54 (Montini fut nommé archevêque de Milan le 3 novembre 1954), et à la mi-août je remarque quelque chose d'étrange. Le cardinal Schuster meurt. Monsignor Montini quitte Rome dans la seconde moitié du mois. De Luca lui écrit : « Quand reviens-tu ? Ici, il y a des choses sérieuses sur le feu. Je dois t'informer. Mais, ajoute-t-il, quoi que tu entendes dire de moi, interroge-moi avant d'agir. » Qu'est-ce que cela signifie ? Il voulait l'informer des bruits sur son « exil » à Milan. Mais il y a aussi l'aspect personnel. J'ai fait lire ce texte à des spécialistes de De Luca, et ils ont tous confirmé mon idée.

   -À savoir ?

   -De Luca a invité Montini à dîner et lui a fait rencontrer Togliatti. Montini, le lendemain, aurait dû en informer le Pape et il ne l'a pas fait. Heureusement, ajouterai-je, parce qu'autrement il ne serait pas allé à Milan, et il ne serait probablement pas devenu Pape. Les adversaires de Montini ont su la chose directement de De Luca, ça lui avait échappé. C'est pour cette raison qu'il lui écrit : « si tu entends dire quelque chose sur moi, interroge-moi d'abord ». Les ennemis de Montini informent Pie XII et c'est à ce moment qu'est brisée la pleine confiance qu'avait en lui le Souverain Pontife, même s'il y eut par la suite une explication entre les deux."

   Trois remarques sur cette déclaration riche en informations :

   1) D'après Monsignor Mazzotta, le futur Paul VI a perdu en 1954 la confiance du pape Pie XII parce qu'il cultivait dans son dos des accointances avec les communistes. Le communisme avait pourtant fait l'objet d'une condamnation solennelle une quinzaine d'années auparavant, dans l'encyclique Divini Redemptoris (1937). Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que Vatican II n'ait pas rappelé cette condamnation, rappel pourtant prévu initialement.

   2) Monsignor Mazzotta, censé avoir étudié cet épisode de la vie de Paul VI dans le but de vérifier s'il représentait ou non un obstacle sérieux à sa béatification puis à sa canonisation, ne fournit absolument aucune justification valable de cette attitude inqualifiable. Heureusement que Montini a désobéi, se contente-t-il d'avancer, sans quoi il ne serait probablement pas devenu pape. Machiavel n'aurait pas mieux dit. Avec ce type de raisonnement, on peut excuser beaucoup de comportements discutables.

   3) Sa déclaration nous renseigne également sur les sources du rapporteur de la cause : des témoignages de tiers, des biographies éditées (celle du Cardinal Siri, par exemple), de la correspondance publiée (celle avec don De Luca). C'est visiblement à partir de ces documents et en consultant des spécialistes sur don De Luca que Mgr Mazzotta s'est forgé une opinion. Aucune trace d'un accès aux archives vaticanes. Manifestement, ces dernières lui sont restées fermées pour cette période...

   Un vice dans la procédure ?

   Nous avons tous entendu parlé du déroulement des procès de béatification. On nous a toujours dit que c'était du solide, que rien n'était laissé au hasard. Et surtout, nous avons tous en tête le travail du promoteur de la foi (ou promoteur de justice), plus connu sous le nom d'avocat du diable, censé « argumenter contre la canonisation d'un candidat », comme le résume si bien Wikipédia. Avec une telle procédure, aucun risque : les catholiques peuvent se rassurer sur le compte de la personne à qui ils adresseront leurs prières.

   Et tout à coup, patatras ! On apprend que les kilomètres d'archives qui concernent la majeure partie de l'activité de Jean-Baptiste Montini au Vatican, d'abord à la Secrétairerie d’État de Pie XII, puis comme pape Paul VI, demeurent inaccessibles ! Voici pourtant en quels termes l'Instruction pour le déroulement des Enquêtes diocésaines ou éparchiales regardant les causes des Saints (aussi connue sous le nom d'Instruction Sanctorum Mater), publiée en 2007 par la Congrégation pour la Cause des Saints, définit le devoir des experts :

   "Le devoir des experts est de rechercher et de rassembler tous les écrits encore non publiés du Serviteur de Dieu, ainsi que tous et chacun des documents historiques, aussi bien manuscrits qu'imprimés, qui concernent la cause de quelque manière que ce soit." (article 68, § 2, nous soulignons)

   Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'une telle clause n'a pas été respectée dans le cas de Paul VI (l'a-t-elle été plus dans le cas de Jean-Paul II ? Souvenez-vous : « Santo subito ! »). De toute évidence, il aurait mieux valu attendre l'ouverture des archives vaticanes. Et malgré tout, après un procès de béatification prétendument en bonne et due forme, le pape du concile s'est vu déclaré bienheureux en 2014. Dites, vous trouvez cela sérieux ? Mais à quoi l'avocat du diable pensait-il donc pendant le procès, alors même que la source principale de la documentation restait inaccessible aux enquêteurs ? Quel sens un procès de béatification peut-il avoir dans ces conditions ?

   La petite blague très révélatrice du pape François

   Le 15 février 2018, jour où il a annoncé la prochaine canonisation de Paul VI, François n'a pas pu s'empêcher d'ajouter : « Benoît et moi sommes en liste d’attente » (source). Après les récentes révélations de Mgr Viga, confirmées par son confrère Mgr Lantheaume, et auxquelles François refuse obstinément de répondre, on se dit que la cause de canonisation de Jorge Mario Bergoglio risque tout de même d'être un tantinet compliquée. Mais là encore, passons. La petite plaisanterie du pontife repose elle-même sur un présupposé de plus en plus ancré : celui selon lequel le Saint-Père serait automatiquement un saint, du fait même de sa fonction. C'est surtout vrai depuis Vatican II : saint Jean XXIII, saint Jean-Paul II, bientôt saint Paul VI, et bientôt le bienheureux Jean-Paul Ier… En fait, le projet de canoniser à tout prix Paul VI en cache (ou en révèle...) un autre : celui de « canoniser », autant que faire se peut, le dernier concile, soi-disant printemps pour l’Église. Les chiffres sont pourtant désormais là pour nous montrer que le virage conciliaire a littéralement vidé les églises de France…

   Canonisation et infaillibilité pontificale

   À la lecture de cet article, il se trouvera sûrement des catholiques pour objecter qu'à partir du moment où les canonisations sont infaillibles, il devient ipso facto illégitime de remettre en cause celle de Paul VI. Mais précisément, l'infaillibilité pontificale couvre-t-elle les canonisations ? Est-il de foi qu'un saint canonisé se trouve dans le Ciel ? Il existe, ne le nions pas, un courant théologique très ancré en faveur de ces opinions. Lisez par exemple l'article « Canonisation » du Dictionnaire de Théologie Catholique (colonnes 1639-1642). Il soutient ces propositions, mais sans toutefois oser nettement les déclarer de foi :

   "Elles ne sont pas directement ou explicitement de foi, non immediate de fide. Salmaticenses, loc. cit. Même après le concile du Vatican, il n'y a pas de définition expresse de l’Église à cet égard, de sorte que celui qui les nierait ne serait pas formellement hérétique. Mais ces vérités touchent à la foi avec laquelle elles ont une connexion très étroite. La première est implicitement révélée comme tout ce qui est déduit avec évidence des principes de foi. Celui qui ne l'admettrait pas serait donc virtualiter et arguitive hérétique selon l'expression de saint Thomas. Sum. theol., IIa IIae, q. XI, a. 2.

   C'est donc implicitement de foi divine que le pape est infaillible dans la canonisation des saints. Ce n'est pas également de foi divine qu'une personne canonisée soit réellement dans le ciel ; mais c'est de foi ecclésiastique. Nous devons certainement croire qu'elle jouit de la béatitude éternelle. Toutefois, nous basons notre croyance à cette vérité, non sur le témoignage de Dieu qui n'en a rien dit, ni dans l’Écriture, ni dans la tradition ; mais sur le témoignage de l’Église et de son chef visible à qui Dieu a promis l'infaillibilité." (colonne 1642)

   Le passage que nous venons de citer ressemble étrangement à la comptine « Trois pas en avant, trois pas en arrière » ! L'infaillibilité des canonisations, soutient-il, n'est pas « directement ou explicitement de foi », mais « implicitement ». De même, celui qui la rejette n'est pas « formellement hérétique », mais il l'est virtualiter et arguitive, ce qui n'a rien de très lumineux, surtout lorsque le texte de saint Thomas qui contient ces termes ne traite absolument pas de canonisation ! Enfin, nous dit le DTC, que la personne canonisée soit dans le ciel n'est pas de « foi divine », mais « ecclésiastique » : cela repose non pas « sur le témoignage de Dieu », mais « sur le témoignage de l’Église et de son chef visible »… Le moins que l'on puisse dire, c'est donc que la proposition « l'infaillibilité pontificale couvre les canonisations » n'est pas elle-même garantie par le sceau de l'infaillibilité pontificale ! Aucun pape n'a jamais couvert cette proposition de son infaillibilité. Ceux qui disent que Benoît XIV l'a fait dans son De servorum Dei beatificatione et de beatorum canonizatione se trompent lourdement : cette œuvre a été publiée en 1734, c'est-à-dire plusieurs années avant que le Cardinal Prospero Lambertini ne devienne pape (1740). Le De servorum ne constitue donc pas un texte magistériel.

   Pour clôturer provisoirement ce débat (jusqu'à ce que l'enseignement de l’Église devienne explicite sur le sujet), vous pouvez lire ici l'opinion de l'historien Roberto de Mattei, et celle (très référencée) du théologien Mgr Brunero Gherardini, qui viennent contrebalancer celle du Dictionnaire de Théologie catholique…

   Conclusion

   Face à une telle situation, voici les différentes solutions qui se présentent :

   0) Dans les jours à venir, prier pour qu'une intervention providentielle empêche cette canonisation d'avoir lieu. Mais une fois que le pape François aura proclamé la sainteté de Paul VI, il ne restera plus guère qu'une des quatre options suivantes.

   1) considérer que l'on puisse être saint tout en s'acoquinant avec les communistes dans le dos de son supérieur le pape, et tout en provoquant un désastre sans précédent pour l’Église, pour ne reprendre que quelques faits parmi d'autres de la vie de Paul VI ;

   2) affirmer que le pape n'est pas vraiment le pape, et que c'est la raison pour laquelle cette canonisation est erronée (argument sédévacantiste) ;

   3) soutenir, contre une grande partie de la tradition théologique, que les canonisations ne sont pas infaillibles, tout le monde semblant s'accorder à reconnaître que l'infaillibilité des canonisations n'est pas explicitement ni directement de foi (option la moins risquée ?) ;

   4) faire semblant de ne pas voir le problème, renoncer à sa raison, et applaudir béatement chaque nouvel acte problématique du pape. À ceux qui ont choisi cette dernière option, nous ne pouvons que conseiller le très joli film de propagande qui sort en salle ces jours-ci : un documentaire hagiographique sur François, commandé par le Vatican lui-même…

  Mise à jour importante du 22/08/2019 : le Catéchisme de l’Église catholique reconnaît lui-même, dans la partie de son Guide de Lecture consacrée à "la question de l'infaillibilité" (n° 19), que "l'exercice de l'infaillibilité pontificale est peu fréquent. Depuis la définition du concile Vatican I qui l'a promulguée, le pape n'en a usé que pour l'Assomption de la Vierge" (p. 816 dans l'édition Centurion, Cerf, Fleurus-Mame de 1998). Donc pas dans le cadre des canonisations... Tant mieux !

26/08/2018

François et les abus sexuels : l'heure de vérité

vigano.jpg

   Les accusations toutes fraîches de Mgr Viganò (photo) à l'encontre du Pape François et de son entourage tombent à point nommé pour confirmer la dernière partie de notre toute récente analyse sur l'a(du)ltération du catéchisme. Elles prouvent de manière éclatante qu'il existe malheureusement bel et bien une mafia homosexualiste dans les plus hautes sphères de l’Église.

   Nous souhaitons à tout catholique d'avoir le courage de lire de bout en bout le texte de Mgr Viganò, si douloureuse cette lecture puisse-t-elle se révéler...

   Avant tout, offrons à Dieu nos prières et nos sacrifices pour notre Église si odieusement défigurée.

   Mais ne perdons pas l'occasion d'observer la situation dans les jours qui viennent :

   -Quelle va être la réaction du Vatican ? Celle des évêques ? Réaction saine, déni en bloc, grillage de quelques fusibles ou conspiration du silence ?

   -Comment les médias (catholiques ou non) vont-il réagir ? Le Pape François va-t-il être lâché par ses sponsors ? Sera-t-il acculé à la démission ?

   Rien n'est moins sûr.

  -Que va-t-il arriver à Mgr Viganò ? Va-t-il mourir "prématurément", comme il indique dans son texte que cela est arrivé aux nonces Gabriel Montalvo et Pietro Sambi ? Va-t-on lui sortir une affaire en vue de décrédibiliser ses affirmations (cf. par exemple la fin très suggestive de cet article) ?

   Souvenons-nous dans nos prières de ce prélat très courageux qui, d'une manière ou d'une autre, risque de payer très cher ses révélations.