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13/12/2020

Heureux comme un serpent au Vatican

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La salle Paul VI du Vatican, photographiée en grand angle. Une architecture pour le moins fascinante… Quand le pape donne audience, il se tient très exactement dans la gueule du serpent...

   Personne ne ressemble plus au Christ que le Chrétien… ou l'Antéchrist, comme nous le rappelle à juste titre la fameuse fresque de Luca Signorelli. Le premier l'imite, le deuxième le singe. Quelle différence entre les deux ? Pour qui a accès à l'intérieur des âmes (qui, sinon Dieu ?), pas de difficulté ! Tout est limpide : le Chrétien s'efforce d'imiter sincèrement le Christ, tandis que l'Antéchrist en reprend en apparence les paroles et les actions, mais les détourne sciemment, les retourne contre l'essence même du message de Jésus. De l'extérieur, quelle différence entre le Chrétien et l'Antéchrist ? Difficile à dire, parce que l'imitation de Jésus-Christ, pour reprendre le titre d'un best-seller, peut ne pas être parfaite, elle peut même s'avérer très maladroite par moments… C'est justement de cette imperfection que profite l'esprit de l'Antéchrist. Lui aussi feindra d'être gauche. Il ne distordra la vérité chrétienne que par des déplacements apparemment microscopiques, savamment calculés ; et quand vous le prendrez la main dans le sac, il lui restera toujours l'excuse de la maladresse… Toujours ? Pas tout à fait. Quand les bourdes s'enchaînent à un rythme démentiel et aboutissent presque systématiquement à un brouillage du message chrétien, à une confusion du message évangélique, on est tout de même en droit de conclure que ces bourdes n'en sont pas, que l'auteur le fait exprès, et qu'il poursuit un objectif précis. Et c'est la conclusion qu'au bout de sept ans, tout observateur lucide du pontificat de François est en droit de formuler.

   Papolâtres de tous crins qui lisez ce début d'article, passez votre chemin. Et changez de religion, tant qu'à faire. Devenez chrétiens, par exemple. En vous souvenant que le Christ ne s'est pas gêné pour tancer vertement le premier pape lorsque ce dernier voulait le détourner de sa mission. « Passe derrière moi, Satan ! » (Matthieu 16, 23). Rien que ça… Pas très papophile, cette exclamation… Yves Chiron, dont on se demande encore quelle mouche a bien pu le piquer, pourrait l'ajouter dans son dernier bouquin. On espère que saint Paul y figure aussi en bonne place, aux côtés de Mgr Viganò, lui qui confesse benoîtement dans l'Epître aux Galates : « Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible » (Galates, 2,11). À défaut d'être éventuellement mentionnés dans Françoisphobie, ces épisodes de l’Église primitive nous sont rapportés dans un autre livre : la Bible, inspiré par l'Esprit saint. Ce dernier se serait-il trompé ? Quant à l'infaillibilité pontificale, évidemment, c'est bien joli, c'est même magnifique. Encore faudrait-il s'en servir et ne pas la laisser au placard, à l'image de la sedia gestatoria et d'autres accessoires de la papauté jugés démodés.

   Cet avertissement posé en préambule, revenons aux fausses maladresses de François, et passons directement en revue l'une ou l'autre de ses techniques éprouvées pour subvertir en douce la doctrine catholique.

   1) Les métaphores inappropriées. Analysez cette petite phrase de François, prononcée en août 2013, à propos d'une éventuelle ouverture de l'ordination aux femmes : « Cette porte-là est fermée », avait-il dit (source). De quoi rassurer le brave catholique, à première vue… Sauf que dans les faits, l'auteur de cette métaphore, trois ans plus tard, met sur pied une commission chargée d'étudier l'ordination de diaconesses, alors même que le Vatican avait publié en 2003 un long document qui concluait à l'impossibilité d'une ordination diaconale féminine. Comme cette commission n'a apparemment pas abouti au résultat escompté, François, en avril 2020, crée une nouvelle commission sur le sujet. Apparemment, il faut encore réfléchir à la question… Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'existe aucune contradiction entre cette volonté effective de bricoler un diaconat féminin et la métaphore de la « porte fermée ». Parce qu'une porte fermée, ça s'ouvre. Si le pape avait voulu défendre l'impossibilité pure et simple d'un diaconat féminin, il n'aurait pas parlé d'une « porte fermée », car les portes sont autant faites pour être ouvertes que fermées, mais bien plutôt d'un mur infranchissable.

   2) Les citations tronquées. Pour introduire de manière crédible des nouveautés dommageables, rien de plus efficace que d'avoir l'air de s'appuyer sur les textes antérieurs de l’Église. C'est à ce petit jeu que François se livre régulièrement, notamment dans Laudato si'. Le n°69 de cette enclyclique prétend ainsi nous mettre en garde contre un « anthropocentrisme déviant ». Pour ce faire, il se réfère au n° 339 du Catéchisme de l’Église catholique, qu'il cite de la manière suivante : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres [...] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ». Pour percevoir l'arnaque, il faut s'intéresser tout autant à ce qui est pris du Catéchisme qu'à ce qui en est laissé. En fait, la phrase originale du n° 339 a été amputée de sa fin. Voici la version originale : « C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses, qui méprise le Créateur et entraîne des conséquences néfastes pour les hommes et pour leur ambiance. » L'omission de la fin de phrase modifie radicalement la perspective : dans l'optique du Catéchisme, il faut respecter la création par considération pour Dieu et pour le bien-être des hommes. Le caviardage effectué par Laudato si' donne l'impression que le Catéchisme affirme que l'homme doit respecter les autres créatures d'abord pour elles-mêmes. En fait, le CEC dit exactement l'inverse : l'homme doit éviter « l'usage désordonné » des autres créatures, d'abord par respect pour Dieu et pour lui-même. Un petit coup de ciseaux et le tour est joué.

   Ces deux subterfuges ne relèvent pas du bon gros mensonge classique. Tout se joue de manière bien plus subtile. Qui se penche de près sur les discours oraux ou écrits de François y repère la présence quasi-permanente d'un langage double, aussi bifide que la langue d'un serpent. Peut-être serait-il opportun ici de méditer l'avertissement laissé par saint François d'Assise, que le pape actuel passe le plus clair de son temps à récupérer et à caricaturer. En effet, sur son lit de mort, le Poverello annonce « une grande époque de tribulations et d’affliction dans laquelle de grands périls et des embarras temporels et spirituels pleuvront, la charité d’un grand nombre se refroidira et l’iniquité des méchants surabondera. Le pouvoir des démons sera plus grand que d’ordinaire, la pureté immaculée de notre congrégation religieuse et des autres sera flétrie, au point que très peu parmi les chrétiens voudront obéir au vrai Souverain Pontife et à l’Eglise Romaine avec un cœur sincère et une charité parfaite. Au moment décisif de cette crise, un personnage non canoniquement élu, élevé à la Papauté, s’efforcera avec adresse de communiquer à beaucoup le poison mortel de son erreur » (voir ici l'article que nous avions consacré à cette prédiction). Serait-ce pour notre temps que le Poverello a prononcé ces mots ?

14/05/2020

Le Pacte Éducatif Mondial du pape François : en route vers la nouvelle spiritualité globale !

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   Même les pires crises peuvent produire leurs avantages collatéraux. Le confinement à grande échelle ne fait pas exception, avec le report en octobre 2020 de la rencontre voulue par François sur le thème du Pacte Éducatif Mondial. À l’origine, cet événement devait se tenir au Vatican le 14 mai. Il y a maintenant plus de quatre ans, nous signalions sur ce blog l'engagement du pape François pour la mise en place d'une religion mondiale, d'une sorte de catholicisme élargi qui trahirait totalement la véritable doctrine catholique, en remettant en cause la place essentielle du Christ dans le mystère du salut. Un lustre plus tard, force est de constater que rien n'a changé à ce niveau. Ou plutôt si, une chose a changé : même dans l’Église, le projet mondialiste se fait de plus en plus explicite. Et manifestement, François a des idées pour intégrer ce projet à l'éducation de nos enfants…

   Un prérequis relativiste

   « Un changement de vitesse est urgent pour faire prévaloir, par l’intermédiaire d’une éducation intégrale et inclusive, capable d’une écoute patiente et d’un dialogue constructif, l’unité sur le conflit », nous assure l'instrumentum laboris (p. 2-3). « Faire prévaloir l'unité sur le conflit », qui refuserait de souscrire à un tel projet ? Pas si vite, cependant ! Le terme « inclusive » doit nous mettre la puce à l'oreille. En effet, ce néologisme a copieusement servi ces dernières années pour promouvoir l'idéologie homosexuelle, le « mariage » gay, le transsexualisme, l'antispécisme, etc. La méfiance est donc de mise.

   « Respecter la diversité, pourrions-nous dire, est donc le premier préalable du pacte éducatif », lit-on ensuite en p. 4. Voilà un préalable éminemment relativiste. Apparemment, la recherche de la vérité ne constitue pas le premier critère de ce pacte éducatif mondial. Cette mauvaise impression se voit corroborée quelques lignes plus loin, avec une référence à la déclaration conjointe d'Abou Dhabi Sur la fraternité humaine. Signée par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar le 4 février 2019, ce texte a fait scandale chez bien des catholiques, qui ont eu l'occasion d'y découvrir une jolie nouveauté catéchétique : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. »1 Voilà donc la diversité des religions mis sur le même plan que la différenciation sexuelle dans le projet divin… En se réclamant du document d'Abou Dhabi, l'instrumentum laboris s'inscrit de fait dans la même veine relativiste.

   À la p. 13, les présupposés relativistes se font encore plus explicites. Se fondant sur l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium (n° 250) de François, le document rappelle que « le dialogue entre les religions […] est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et par conséquent est un devoir pour les chrétiens, comme pour les autres communautés religieuses. » Sauf que le dialogue promu ici n'a aucunement pour objectif l'annonce de l'évangile ou même la recherche de la vérité. Qu'on nous permette de citer la suite, reprise elle aussi du même paragraphe d'Evangelii Gaudium : « C’est précisément dans la pratique du dialogue, en effet, que « nous apprenons à accepter les autres dans leur manière différente d’être, de penser et de s’exprimer. De cette manière, nous pourrons assumer ensemble le devoir de servir la justice et la paix, qui devra devenir un critère de base de tous les échanges. Un dialogue dans lequel on cherche la paix sociale et la justice est, en lui-même, au-delà de l’aspect purement pragmatique, un engagement éthique qui crée de nouvelles conditions sociales » (ibid.) » Est-il vraiment utile de commenter ? Le pape promeut un dialogue « dans lequel on cherche la paix sociale et la justice », et non la vérité. Celles-ci deviennent, à la place de la vérité, « un critère de base de tous les échanges ».

   Peut-être certains catholiques objecteront-ils que le dialogue ainsi envisagé se trouve au service de la charité. Il s'agit d'une erreur, dès lors que ce dialogue n'a pas d'abord en vue la vérité. Comme le rappelle Mgr Athanasius Schneider dans son récent ouvrage Christus Vincit, c'est la vérité qui fonde la charité et non pas le contraire. Nous en voyons un indice très certain dans la Sainte Trinité, l'Esprit Saint qui est amour procède du Fils, du Verbe, qui est vérité. Autrement dit, pas de charité sans vérité préalable !2 Par conséquent, un dialogue qui évacue toute recherche de la vérité au profit d'un consensus relativiste ne remplit pas les conditions d'un dialogue charitable. Et pourtant, l'instrumentum laboris prétend nous faire passer de la Caritas in veritate à la Caritas in diversitate…

   Quelle implication pour l'éducation de nos enfants ? « Il faut donc exercer la pensée qui ordonne l’unité dans la distinction et qui considère la différence comme une bénédiction pour sa propre identité et non comme un fort empêchement à la réalisation de soi. Le travail éducatif doit intervenir avant tout à ce niveau » (p. 12 de l'instrumentum laboris). Vous avez bien lu : l'éducation doit être relativiste « avant tout ». Dans le même style, « le premier principe indispensable à la construction d’un nouvel humanisme est donc celui de l’éducation à une pensée nouvelle, capable de maintenir l’unité et la diversité, l’égalité et la liberté, l’identité et l’altérité » (p. 12). Dans la promotion de cette diversité, l'annonce de l'évangile se voit littéralement balayée : « il convient aujourd’hui de se concentrer à éduquer les questions des jeunes, prioritaires par rapport au fait de donner des réponses », préconise l'instrumentum laboris à sa huitième page. Il ne s'agit donc surtout plus de transmettre les vérités de la foi. Surtout, pas de prosélytisme !

   Dans un communiqué du 3 mars 2020, la Congrégation pour l'éducation catholique (sic), qui semble bien être à la manœuvre pour la mise en place du pacte éducatif mondial, rappelle la dimension radicalement interreligieuse de la rencontre voulue par le pape : « dans la conviction que l'engagement en faveur de l'éducation doit être partagé par tous, [le pacte] implique des représentants des religions, des organismes internationaux et des différentes institutions humanitaires, du monde académique, économique, politique et culturel. De ce point de vue, on peut comprendre que la participation plus large et plus variée souhaitée par le pape François ne constitue pas une dimension supplémentaire au Pacte mondial pour l'éducation, mais qu'elle constitue en même temps le fondement et le but d'une telle alliance. »

   Le Christ aux oubliettes

   L'instrumentum laboris élaboré en vue du Pacte Éducatif Mondial tient en dix-neuf pages. Sur cette petite vingtaine de pages, le nom de Jésus n'apparaît qu'une seule fois, en troisième page. Et c'est tout… Ah non, pardon ! Toujours à la p. 3, le mot « Christus » apparaît entre parenthèses dans le titre d'une exhortation apostolique. Cela ne fait tout de même pas beaucoup. N'est-ce pas étonnant, au sein d'une institution ecclésiale censée être le corps mystique du Christ ? Plus surprenant encore, dans son invitation à Rome afin de lancer son Pacte Éducatif Mondial, le pape lui-même ne mentionne le Christ qu'une seule fois, à l'occasion d'une simple comparaison. François n'est-il pourtant pas le vicaire du Christ ? Historiquement, si… Mais historiquement seulement, à en croire l'annuaire pontifical de 2020, où la mention « vicaire de Jésus-Christ » n'apparaît plus que parmi les « titres historiques ». Malgré les explications embrouillées du porte-parole du Saint-Siège sur cette modification, les mots conservent un sens, et un sens précis. Un titre historique, c'est un titre daté, tombé en désuétude, démodé même s'il n'a pas fait l'objet d'une abrogation formelle… Au risque de fâcher, il faut donc se poser la question : si le pape François n'est plus le vicaire du Christ, de qui est-il le vicaire ?

   Une spiritualité horizontale

   Ne croyez pas pour autant que les considérations spirituelles aient disparu de ces documents. Le vocabulaire religieux s'y trouve omniprésent, mais détourné de son sens traditionnel. Par exemple, dans son invitation, François appelle de ses vœux « une alliance entre toutes les composantes de la personne : entre l’étude et la vie ; entre les générations ; entre les enseignants, les étudiants, les familles et la société civile selon leurs expressions intellectuelles, scientifiques, artistiques, sportives, politiques, entrepreneuriales et solidaires. Une alliance entre les habitants de la Terre et la « maison commune » à laquelle nous devons sauvegarde et respect. » Ah bon ? Et nous qui croyions que le Christ scellait « l'Alliance nouvelle et éternelle », comme le disent les prêtres lors de la consécration ! Ici, une autre alliance nous est proposée, non plus entre le Créateur et l'homme avec le Christ comme médiateur (cette acception traditionnelle du mot est d'ailleurs rappelée aux p. 3-4 de l'instrumentum laboris), mais d'une part entre la terre et ses habitants, et d'autre part entre les différentes instances de la société. Et il s’agit bien d’une alliance de type religieux, car « toute alliance, toute alliance en vue du bien commun, en vue du bien de l'humanité, porte en elle quelque chose de sacré », affirme la page internet officielle consacrée au logo du projet. La société humaine, mais aussi la terre, font donc ici l'objet d'une divinisation implicite. Cela ne vous surprendra guère si vous vous rappelez la cérémonie idolâtre qui s'est tenue le 4 octobre 2019, dans les jardins du Vatican, en présence de François lui-même. Les participants s'étaient alors prosternés en cercle devant une statue que le pape en personne avait fini par identifier comme étant la Pachamama… autrement dit, la déesse de la terre-mère dans le paganisme sud-américain…

   Autre exemple flagrant de ce détournement sémantique, cette fois dans l'instrumentum laboris (p. 7) : « « Ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout. » Au quatrième chapitre des Actes des Apôtres, c'est pourtant dans les termes suivants que saint Pierre le premier pape ! évoque Jésus : « il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. » (verset 12). N'oublions pas que le nom « Jésus » lui-même ne signifie rien d'autre que : « Dieu sauve » ; et que les derniers mots du Christ au moment de mourir sont précisément : « Tout est accompli » (Jean, XIX, 30. Mais non ! nous dit-on. « « Ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout. » Le Christ ne fait donc pas l'objet d'un simple « oubli » de la part des auteurs du document. Il se voit purement et simplement remplacé. L'humanité n'est plus sauvée par Jésus, mais par elle-même, pour peu qu'elle sache faire preuve de solidarité…

   En voulez-vous encore ? Reprenant l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium de François (n° 87), l'instrumentum laboris insiste sur « la nécessité de découvrir et de transmettre la “mystique” de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras, de se soutenir, de participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire… » (p. 2). Apparemment, l'expression « mystique du vivre ensemble » a plu aux auteurs du document, qui l'ont insérée dans la liste des « noyaux thématiques générateurs d'autres réflexions » (sic, p. 19). Là encore, si les termes ont une signification, la mystique, c'est « l'ensemble des pratiques du mysticisme, intuitions, connaissances obtenues par elles ». Et le mysticisme lui-même se définit comme « l'ensemble des croyances et des pratiques se donnant pour objet une union intime de l'homme et du principe de l'être (divinité) » (dictionnaire le Petit Robert de 1981). Ici, l'union aux autres vient donc très clairement remplacer l'union à Dieu.

   Pour être parfaitement honnête, dans le contexte d'Evangelii Gaudium, cette « mystique de vivre ensemble » peut encore être perçue comme une allusion à l’Église, corps mystique du Christ. En effet, le paragraphe 87 où cette expression apparaît est précédé d'un titre qui invite à la comprendre dans ce sens : « Oui aux relations nouvelles engendrées par Jésus Christ » ; en outre, la phrase de François, citée par l'instrumentum laboris, se termine originellement comme suit : « en une caravane solidaire, en un saint pèlerinage ». Les auteurs du nouveau document ont donc censuré tout ce qui aurait permis de comprendre de manière catholique « la mystique de vivre ensemble ». Le « saint pèlerinage », vraisemblablement parce qu'il semble remettre Dieu au centre des relations humaines, n'a pas trouvé grâce à leurs yeux, et ils ont caviardé ce passage en le remplaçant par des points de suspension !

   Autre détournement très significatif du vocabulaire religieux : la vertu théologale d’espérance n’a plus pour objet la vie éternelle3, mais seulement la vie ici-bas, censée, grâce à nos efforts, devenir meilleure à l’avenir. Ainsi comprise, elle se confond avec l’espoir. En effet, les auteurs de l’instrumentum laboris utilisent à six reprises le terme « espérance ». Et dans la moitié de ces occurrences, ce mot est explicitement associé soit au terme « futur », soit au terme « avenir » (p. 3 et p. 9). C’est aussi le cas dans l’invitation du pape François : « Cherchons ensemble à trouver des solutions, à lancer sans aucune crainte des processus de transformation et à regarder l’avenir avec espérance. » Ici, il ne s’agit absolument pas de se préparer à l’au-delà, mais de préparer ici-bas un monde meilleur. Il ne s’agit plus de l’espérance dans la vie éternelle, mais de « l’espérance dans le futur » (p. 9 de l’instrumentum laboris).

   Un panthéisme qui dit enfin son nom

   Les conséquences de ce que nous venons de décrire s’imposent d’elles-mêmes. Si « « ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout », alors, ensemble, nous sommes Dieu. Si le simple fait de « vivre ensemble » constitue une « mystique », et nous unit donc ipso facto à la divinité, c’est là encore parce qu’ensemble nous sommes Dieu. Et si notre espérance est tournée vers un futur terrestre qu’il nous faut réaliser par nos propres forces, alors c’est que nous pouvons nous procurer par nous-mêmes la vie éternelle. Nous sommes ensemble le divin, indépendamment de toute référence à un être transcendant, à un au-delà de nous-mêmes. Voilà un catéchisme aux antipodes du christianisme…

   Mais au fait, qui est « nous » ? Et « ensemble », c’est qui ? C’est tout ce qui existe. La page officielle dédiée à l’exégèse du logo ne laisse place à aucun doute : « La ligne du cercle symbolise ce macrocosme qu'est Dieu, et exprime le début et la fin de toute chose : l'être, la totalité. » Donc Dieu n’est plus le Créateur de l’univers, mais c’est l’ensemble de l’univers qui est Dieu. Nous voici bel et bien face à un panthéisme explicite. Rétrospectivement, nous pouvons comprendre à la lumière de ce constat certaines affirmations pour le moins tendancieuses de l’encyclique Laudato Si'. Voici à la volée quelques extraits des paragraphes 233 (cité comme par hasard aux p. 10-11 de l’instrumentum laboris) et 234 qui prennent désormais tout leur sens :

   « L’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. »

   « L’idéal n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose .» Le trouver lui, et non plus simplement son action…

   « Comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est d’autant plus éminente que l’homme sent en lui-même l’effet de la grâce divine et qu’il sait trouver Dieu dans les créatures extérieures ». » Vous apprécierez au passage la récupération éhontée du saint franciscain.

   « Le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est toutes les choses » » La citation provient de saint Jean de la Croix, à son tour embrigadé sous la bannière du panthéisme…

   « Les vallons solitaires sont paisibles, agréables, frais et ombragés. [...] Mon Bien-Aimé est pour moi ces vallons ». Nouvelle citation du Cantique spirituel de saint Jean de la Croix. Rappelons au passage que cette œuvre, tout comme Le Cantique des créatures de saint François d’Assise (abusivement repris par le pape actuel), appartient au genre de la poésie, et non du traité théologique. De toute évidence, on ne peut pas faire de catéchèse sérieuse à coups de citations poétiques… En revanche, en les détournant de leur sens premier, on peut s’en servir comme arguments d’autorité très commodes pour rendre crédible l’inacceptable…

   Et revoilà l’antispécisme…

   Les hommes, d’après l’instrumentum laboris, font donc partie intégrante d’un tout divin. Cette idée, même si elle contredit la doctrine catholique, peut sembler très généreuse à première vue… François prétend d’ailleurs bâtir un « nouvel humanisme » : l’expression se trouve dans son invitation et l’instrumentum laboris la reprend telle quelle. Ce nouvel humanisme, cette nouvelle vision de l’homme, constitue elle aussi une rupture par rapport à la tradition chrétienne. Celle-ci s’appuyait sur la parole de Dieu dans le livre de la Genèse. En effet, dès la création de l’homme, le Seigneur affirme nettement la souveraineté de ce dernier sur les autres êtres vivants : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Genèse I, 28) Il le place également dans un jardin « afin de le cultiver et de le garder » (Genèse II, 15). Évidemment, il faut éviter que le jardin ressemble à une décharge… Cette primauté ne constitue donc pas une invitation à faire n’importe quoi, mais elle implique une responsabilité.

   Dans le monde de François, tout se passe comme si cette supériorité de l’homme sur les autres êtres n’existait pas. Voici un passage de l’encyclique bergoglienne cité par l’instrumentum laboris (p. 10) : « Considérer la question environnementale comme intrinsèquement relationnelle « nous empêche – affirme Laudato si’ – de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle » (n° 139). » Retenez bien cette thèse : nous sommes une partie de la nature. Or, seulement deux paragraphes plus loin dans l’encyclique (n° 141), on lit que « le tout est supérieur à la partie », idée déjà développée avec insistance dans Evangelii Gaudium (n° 234-237). Ces deux affirmations forment les prémisses d’un syllogisme dont, très habilement, le pape se garde bien de formuler la conclusion de manière explicite : « le tout est supérieur à la partie » (prémisse majeure) ; or nous, les hommes, sommes une partie de la nature (prémisse mineure) ; donc la nature est supérieure aux hommes (conclusion logique).

   D’autres éléments viennent exprimer cet antispécisme. Par exemple, la p. 6 de l’instrumentum laboris cite un long extrait d’un discours de François :

   « La créature humaine semble aujourd’hui se trouver à un moment particulier de son histoire […]. La caractéristique emblématique de ce moment peut être reconnue de manière synthétique dans la diffusion rapide d’une culture centrée de manière obsessionnelle sur la souveraineté de l’homme – en tant qu’espèce et en tant qu’individu – par rapport à la réalité. Certains vont même jusqu’à parler d’égolâtrie, c’est-à-dire d’un véritable culte du moi, sur l’autel duquel on sacrifie toute chose, y compris les liens d’affection les plus chers. Cette perspective n’est pas inoffensive : elle façonne un sujet qui se regarde sans cesse dans un miroir, jusqu’à devenir incapable de tourner les yeux vers les autres et le monde. »

   Ici, la thèse antispéciste est introduite dans l’incise « en tant qu’espèce et en tant qu’individu », qui mêle savamment le vrai et le faux : d’un point de vue chrétien, l’égoïsme individuel sera toujours condamnable, contrairement à la souveraineté des hommes sur le reste des créatures, qui fait partie des desseins divins, ainsi qu’on l’a rappelé plus haut. Admirez au passage la virtuosité rhétorique, qui agit ici comme un rayon paralysant : la vérité d’une proposition paraît bien avoir pour objectif d’empêcher le lecteur de réagir contre la fausseté de l’autre… Dernière précision avant de passer à la suite : ce discours anti-humain a été tenu « aux participants à l’assemblée générale des membres de l’Académie Pontificale pour la Vie en octobre 2017. » Ironie ?

   L'idéologie antispéciste s'incarne aussi dans la langue utilisée par François. Les énumérations notamment, parce qu'elles relient plusieurs éléments en les mettant sur le même plan syntaxique, enfoncent subrepticement dans le cerveau du lecteur l'idée d'une égalité fondamentale entre les êtres personnels et impersonnels. Voici par exemple un extrait du n° 70 de Laudato Si', cité par l'instrumentum laboris à la p. 10 : « La négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. » Cette énumération met sur le même plan le rapport à la terre, être impersonnel, et le rapport aux êtres personnels. Elle établit par le fait même une équivalence entre eux. Il ne s'agit pas de la seule occurrence de ce phénomène. En voici une autre, toujours à la p. 10, qui emprunte cette fois-ci au n° 233 de l'encyclique : « il est possible de redécouvrir – ainsi que l’affirmait le pape François – « une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre. » » Ici encore, cet inventaire à la Prévert nous dit quelque chose de la vision bergoglienne de l'homme : visiblement, « le visage du pauvre » n'a pas une valeur plus grande que la « feuille », « la rosée » et le « chemin » évoqués avant lui.

   La coordination produit parfois le même effet nivelant. La p. 13 de l'instrumentum laboris se réfère à nouveau l'encyclique écologique : « si « le cœur est authentiquement ouvert à une communion universelle, rien ni personne n’est exclu de cette fraternité » (Laudato si’, n° 92). » Vous avez bien lu : « rien ni personne ». Subtil, n'est-ce pas ? Deux petits mots supplémentaires et le tour est joué ! Autre occurrence de coordination à portée antispéciste en page 5 : « plus la fraternité est exercée, moins elle exprime –en premier lieu– un devoir moral, mais bien plutôt l’identité objective du genre humain et de toute la création. » Réduisons cette phrase à sa plus simple expression : « la fraternité exprime l’identité objective du genre humain et de toute la création. » Nous voici donc désormais frères des ours et des nénuphars, qui ne valent pas moins que nous…4

   Ami lecteur, que ces considérations syntaxiques ne vous fassent pas hausser les épaules ! Dans le dernier livre de la bible, saint Jean a décrit le faux prophète comme « une bête » qui « avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon » (Apocalypse XIII, 11). L'auteur sacré nous lance ainsi un avertissement : le langage, sa manipulation et son déchiffrement joue(ro)nt un rôle clé dans la bataille spirituelle finale. Pour démasquer le faux prophète, ne vous demandez donc pas si sa tête vous revient ou non. Prêtez plutôt attention à ce qu'il dit.

   L'écologie intégrale : cheval de Troie païen dans l'enseignement catholique

   Dans son invitation à Rome, le pape François évoque un thème qui lui est cher, celui de l'écologie intégrale, déjà mentionné dans Laudato Si'5 et repris dans l'instrumentum laboris (page 10). Depuis la fameuse encyclique, ce concept a été volontiers repris par des catholiques aussi enthousiastes que mal informés. Car enfin, d'où vient cette expression d'« écologie intégrale » ? Qui l'employait avant François ?

   On la trouve en l'an 2000 sous la plume des penseurs païens de la Nouvelle Droite, Alain de Benoist et Charles Champetier dans leur Manifeste pour une renaissance européenne. Ces auteurs se positionnent « pour une écologie intégrale, contre la démonie productiviste ». Selon eux, il faut « en appeler au dépassement de l’anthropocentrisme moderne et à la conscience d’une co-appartenance de l’homme et du cosmos. »6 « Cette transcendance immanente fait de la nature un partenaire, non un adversaire ou un objet. »7 Comme par hasard, à ces affirmations se superpose parfaitement celle de Laudato Si' (n° 139), partiellement citée par l'instrumentum laboris (page 10), et d'après laquelle « quand on parle d’“environnement”, on désigne en particulier une relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle ». Il existe donc bel et bien une véritable similitude de pensée entre écologistes païens et catholiques qui se réclament de l'écologie intégrale. Mais contrairement aux seconds, les premiers ont la lucidité de reconnaître l'incompatibilité radicale qui demeure entre écologie intégrale et anthropologie chrétienne : cette vision du monde, rappellent-ils avec raison, « ne gomme pas la spécificité de l’homme, mais lui dénie la place exclusive que lui avaient attribuée le christianisme et l’humanisme classique. »8

   Sous le pontificat de Benoît XVI, un jeune auteur catholique se fait à son tour le chantre de l'écologie intégrale. En 2007, Falk van Gaver publie ainsi dans le journal catholique L'Homme Nouveau un article au titre évocateur : « Pour une écologie intégrale »9. En 2011, il publie, toujours aux éditions de l'Homme Nouveau, L'Ecologie selon Jésus-Christ, essai dans lequel il nie toute incompatibilité entre écologie intégrale et christianisme. En 2017, dans une interview donnée à Aleteia, il témoigne de son rôle pionnier dans l'intégration de l'écologie intégrale à l'enseignement catholique : « Comme toute chose, la doctrine de l’Église est changeante, et plus précisément évolutive : en témoigne « l’écologie intégrale », terme que je crois avoir été le premier (en tout cas en langue française) à employer publiquement en chrétien, et en tant que chrétien, dans mes articles et conférences, il y a dix ans et davantage, et qui est devenu doctrine officielle de l’Église. » Accessoirement, on apprend au cours de cet entretien qu'il a « perdu la foi »10. Dans une autre interview donnée un an plus tard au site Hommes de Polynésie, Falk van Gaver confirme « la remise en cause de [s]on adhésion au christianisme institutionnel et [s]a crise de foi. » Il y évoque aussi un de ses projets : « Un autre projet qui me tient à cœur est le « Te Fare Philo », c’est-à-dire la polysophie, le multinaturalisme et le polyculturalisme : promouvoir les sagesses polynésiennes, les sagesses pacifiques, les sagesses locales et les sagesses plurielles. Faire sortir la philosophie des salles de classe et d’examen et des exercices académiques. Je veux diffuser l’écosophie : les sagesses écologiques philosophiques, traditionnelles, populaires, savantes, scientifiques, spirituelles, religieuses… Promouvoir la convergence, le syncrétisme et le pluralisme écosophique. »11 Comprenez : les sagesses païennes. Voilà donc Falk van Gaver laissé au paganisme qu'il avait déjà adopté sans le savoir avec l'écologie intégrale. La malheureuse trajectoire de ce militant illustre à merveille l'incompatibilité qui perdure malgré tout entre cette idéologie et le catholicisme. Vous pouvez peut-être faire coexister les deux un temps, mais l'un finira par expulser l'autre. Ici, comme dans le domaine économique, la loi de Gresham semble devoir se vérifier : la mauvaise doctrine chasse la bonne… Une fois gratté le vernis catholique, l'écologie intégrale se donne à voir pour ce qu'elle est toujours : une doctrine intrinsèquement païenne.

   Fait intéressant, dans un troisième entretien, Falk van Gaver mentionne lui-même un autre promoteur de l'expression « écologie intégrale » : « lorsque j’ai forgé publiquement ce concept en 2006-2007 dans le cadre de mon engagement spirituel, intellectuel et existentiel chrétien dans l’Église catholique, [...] j’ignorais que le théologien de la libération et ex-prêtre catholique Leonardo Boff avait utilisé cette expression quelques années auparavant. »12 Effectivement, ce théologien brésilien vantait déjà l'écologie intégrale au milieu des années 90. On en trouve un exemple dans un article de lui paru le 12 mai 1996 dans le quotidien Folha de S. Paulo. Il y distingue quatre niveaux d'écologie, tous pertinents et complémentaires selon lui : l'écologie environnementale, l'écologie sociale, l'écologie mentale et l'écologie intégrale. L'écologie mentale consiste ainsi à lutter contre une vision anthropocentrique de la création :

« L'anthropocentrisme considère l'être humain comme le roi/la reine de l'univers. Il pense que les autres êtres n'ont de sens que lorsqu'ils sont ordonnés à l'être humain ; ils y sont disponibles à volonté. Cette structure rompt avec la loi la plus universelle de l'univers : la solidarité cosmique. Tous les êtres sont interdépendants et vivent dans un réseau de relations très complexe. Tous sont importants.
Il n'existe pas de personne qui soit roi ou reine et qui se considère comme indépendante sans avoir besoin des autres. La cosmologie moderne nous enseigne que tout a à voir avec tout, à tout moment et en toutes circonstances. L'être humain oublie cette réalité. Il s'éloigne et se met au-dessus des choses au lieu de se sentir ensemble et avec elles, dans une immense communauté planétaire et cosmique. Il est important que nous retrouvions des attitudes de respect et de vénération envers la Terre. »13

Quelle différence entre cette « écologie mentale » et la « co-appartenance de l’homme et du cosmos » affirmée par les penseurs païens de la Nouvelle Droite ? Aucune. On retrouve la même rupture avec le livre de la Genèse.

   Là encore, on peut parler d'habillage catholique d'une doctrine païenne. En effet, Leonardo Boff a beau avoir été franciscain avant de défroquer, il défend dès 1996 une vision toute païenne de l'univers :

« La grande question n’est pas de savoir quel sera l’avenir de l’Église, mais quel sera celui de l’humanité et dans quelle mesure l’Église peut aider et garantir cet avenir. A l’intérieur de l’option pour les pauvres, il faut penser la terre comme un grand pauvre ; il faut le penser à l’intérieur de la libération : libérer la terre pour qu’elle ne souffre pas, pour qu’elle soit la grande Pachamama ou la grande Mère qui nous nourrit tous. Elle est notre corps élargi. Il faut aussi, théoriquement, faire à partir de la terre une expérience plus complète de Dieu, une expérience plus cosmique du Christ qui est dans la matière, de l’esprit qui conduit l’univers. De la façon dont nous saisissons la terre, nous saisissons Dieu, et il s’agit d’avoir à partir de là une théologie de la libération et une spiritualité. Et je pense que nous pouvons avoir une théologie de la libération plus intégrale si nous incluons toutes ces dimensions, le pauvre, tous les hommes car tous sont menacés comme la terre et avec elle. Et ceci permet que la théologie de la libération soutienne une spiritualité qui inclut aussi les personnes dans cette dimension de sauvegarde de la nature, de la terre, de l’avenir, afin que nous puissions tous vivre ensemble avec la terre en la considérant comme notre mère. »14

Vous noterez au passage, la présence de la Pachamama, qui s'est depuis illustrée dans les jardins du Vatican

   Pour résumer, Alain de Benoist, Charles Champetier, Falk van Gaver, Leonardo Boff sont quatre pionniers de l'écologie intégrale qui nous orientent tous dans la même direction : celle du paganisme. Dès lors, faire entrer l'écologie intégrale dans l'enseignement catholique, c'est y introduire un élément païen susceptible de le dissoudre de l'intérieur…

   Leonardo Boff, nègre du pape ?

   En fait, une étude comparative révèle sans difficulté l'étrange parenté entre la pensée de Leonardo Boff et celle présente dans les documents du pacte éducatif mondial.

Leonardo Boff (textes des années 90)

Documents pour le Pacte éducatif mondial

« Nous devons faire la paix et pas seulement une trêve avec la terre. Nous devons reconstruire un pacte de fraternité/sororité et de respect pour celle-ci. » (source)

« Une alliance entre les habitants de la Terre et la « maison commune » à laquelle nous devons sauvegarde et respect. » (invitation du pape François)

« C'est là, dans l'esprit humain, que sont initiés les mécanismes qui nous mènent à une guerre contre la Terre. Ils s'expriment dans une catégorie : notre culture anthropocentrique. L'anthropocentrisme considère l'être humain comme le roi/la reine de l'univers. »

(source)

« La caractéristique emblématique de ce moment peut être reconnue de manière synthétique dans la diffusion rapide d’une culture centrée de manière obsessionnelle sur la souveraineté de l’homme – en tant qu’espèce et en tant qu’individu – par rapport à la réalité. » (Instrumentum laboris, p. 6 ; citation d'un discours de François)

« Tous les êtres sont interdépendants et vivent dans un réseau de relations très complexe. » (source)

« L’être humain et la nature doivent être pensés comme interdépendants » (Instrumentum laboris, p. 10)

« […] comprendre que la terre est un super organisme vivant, qu’elle n’est pas un dépôt de ressources naturelles dont nous pouvons tirer et retirer des tas de choses, mais qu’elle est la Grande Mère, la Grande Pachamama, qu’elle prolonge notre corps » (source)

« Considérer la question environnementale comme intrinsèquement relationnelle « nous empêche – affirme Laudato si’ – de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle » (n° 139). » (Instrumentum laboris, p. 10)

« Cette vision exige une nouvelle civilisation et un nouveau type de religion, capable de reconnecter Dieu et le monde, le monde et l'être humain, l'être humain et la spiritualité du cosmos. » (source)

« Il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » (Laudato si’, n° 118) (Instrumentum laboris, p. 10)

« L'écologie intégrale cherche à habituer l'être humain à cette vision globale et holistique. Le holisme ne signifie pas la somme des parties, mais la capture de la totalité organique, une et diverse dans ses parties, mais toujours articulée entre elles au sein de la totalité et constituant cette totalité. » (source)

« L'écologie intégrale qu'appelle le pape […] naît de la conscience pleine que « tout est lié », « tout est en relation », ainsi que l’a répété plusieurs fois Laudato si’ (cf. nos 70, 92, 117, 120, 138,142). » (Instrumentum laboris, p. 10)

« Le christianisme est amené à approfondir la dimension cosmique de l'incarnation, l'inhabitation de l'esprit de la nature et le panenthéisme, selon lequel Dieu est en tout et tout est en Dieu. » (source)

« L’idéal n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose .» (Laudato si’, n° 233) (Instrumentum laboris, p. 10-11)

« Ils nous aident à être un être de relations » (source)

« C’est précisément ce que signifie mettre au centre la personne qui est relation. » (Instrumentum laboris, p. 13)

   Même sanctionnée jadis par Jean-Paul II, la pensée de Leonardo Boff, pourtant défroqué et vivant aujourd’hui en concubinage, semble avoir fait son chemin dans l’Église. Le principal intéressé reconnaît lui-même cette influence, ainsi que le rôle qu'il a joué dans l'écriture de Laudato si'. Dans une interview donnée à un journal allemand et traduite sur le site Benoît-et-moi, le théologien brésilien explique comment François lui a demandé de lui faire parvenir du matériel pour l'écriture de l'encyclique. Il raconte aussi par quels moyens détournés, recommandés par François lui-même, s'est fait cet envoi, afin d'éviter toute interception de la part de l'administration vaticane. Enfin, il évoque les remerciements que lui a adressés le pontife lorsque l'encyclique a été publiée. Il s'avère donc tout à fait logique de retrouver les élucubrations de Leonardo Boff dans les documents du pacte éducatif mondial, pensé par le pape comme un prolongement de Laudato Si', ainsi qu'il le rappelle dès le début de son invitation.

   Du service chrétien à l'asservissement totalitaire

   Éducation au service, éducation par le service et éducation comme service… Le service constitue une des grandes idées du pacte éducatif mondial, tant dans l'invitation du pape François que dans l'instrumentum laboris. Car il s'agit ici de « former des personnes disponibles à se mettre au service de la communauté. » (p. 3 de l'instrumentum laboris). Là encore, cela paraît parfaitement chrétien à première vue. Mais à première vue seulement. En effet, le sens ultime du service nous est donné par Jésus-Christ lui-même dans l'évangile selon saint Matthieu (XXV, 31-46) : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi! […] chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » C'est donc Jésus que le chrétien sert dans ses frères. Ôtez cette dimension transcendante et le service perd toute signification chrétienne. Or, les documents relatifs au pacte éducatif mondial, sans la nier de manière explicite, ne rappellent jamais cette signification ultime du service.

   La vie humaine et le service se voient ici réduits à leur seule dimension terrestre. « Nous sommes créés non seulement pour vivre « avec les autres », mais aussi pour vivre « au service des autres », dans une réciprocité salvifique et enrichissante » (p. 5 de l'instrumentum laboris). Voilà une affirmation bien pauvre : nous sommes d'abord créés pour vivre avec Dieu et au service de Dieu, un court moment ici-bas, puis dans l'éternité. Et c'est seulement dans cette perspective que le service du prochain acquiert un sens. Ne vous y méprenez pas : il ne s'agit pas ici d'un simple problème de formulation. Ces conceptions appauvries du but de la vie et du service portent en elles de très graves implications. À partir du moment où la finalité de la vie humaine est réduite à une perspective purement horizontale, plus rien n'empêche de l'enfermer dans un projet tout aussi horizontal, où l'individu se voit tout entier asservi à la collectivité. Si je suis créé uniquement « pour vivre au service des autres », alors les autres peuvent tout exiger de moi : me voilà corvéable à merci ! Ainsi absolutisé, car non limité par la perspective eschatologique traditionnelle, « le service de la communauté » se mue très facilement en esclavage et en aliénation. Relire à ce sujet les § 47 et 48 du Compendium de la doctrine sociale de l’Église que les auteurs du pacte éducatif mondial feraient bien d'avoir en tête !

   Dans ce système dont la théorie n'a rien à envier aux pires régimes communistes, l'éducation s'effectue tout entière en vue du service de la collectivité : « la recherche éducative distingue toujours plus clairement la dimension centrale du service au prochain et à la communauté en tant qu’instrument et but de l’éducation. » (p. 18 de l'instrumentum laboris). Vous croyiez que le Vatican allait mettre l'accent sur l'éducation religieuse ? Eh bien, vous vous êtes trompé ! Ou plutôt, non, vous ne vous êtes pas trompé. Car l'éducation religieuse a Dieu pour objet. Et précisément, rappelez-vous que la collectivité est Dieu, puisqu'« « ensemble » est le mot qui sauve tout et accomplit tout » (p. 7 de l'instrumentum laboris). Donc il s'agit bien ici d'une éducation religieuse, quoique d'un genre nouveau…

   Mais comment cette éducation peut-elle avoir pour but de mettre au centre le « service au prochain et à la communauté », et être en même temps une « éducation écologique intégrale » (p. 10 de l'instrumentum laboris), « ayant pour vocation de créer une citoyenneté écologique » (Laudato si' n° 211, p. 16 de l'instrumentum laboris) ? Comment comprendre l'articulation entre ces deux aspects apparemment irréductibles l'un à l'autre ? Tout simplement en prenant conscience du fait que le prochain et la communauté auxquels on prétend nous asservir ne sont pas seulement les êtres humains. Il s'agit, antispécisme oblige, de la grande communauté de la nature : les animaux (et parmi eux les humains), les végétaux et les minéraux ! Vous avez l'honneur de faire partie d'un tout divin ? Eh bien, vous allez devoir perpétuellement vous sacrifier pour « ce macrocosme qu'est Dieu » ! Souvenez-vous : « rien ni personne n’est exclu de cette fraternité. [...] Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre. » (Laudato si’, n° 92).

   Des influences onusiennes et mondialistes indéniables

   Un des problèmes les plus visibles du pacte éducatif mondial réside dans le fait qu'il s'inspire en grande partie de la mentalité onusienne. Sur le plan formel, l'idée d'un pacte mondial provient tout droit de l'ONU, qui avait lancé le sien en 2000. Comparez son logo avec celui du pacte éducatif mondial : leur parenté crève les yeux. Dès votre arrivée sur le site dédié au projet, vous voilà face à un diaporama où les considérations de Kofi Annan (longtemps secrétaire général des Nations Unies) sur l'éducation côtoient des citations de Gandhi et C. S. Lewis, tous trois grands catholiques comme chacun le sait…

   Mais ces ressemblances ne s'arrêtent pas là. On peut parler de véritable influence onusienne. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter le programme de l'atelier qui s'est tenu les 6 et 7 février 2020 au Vatican dans le but d'échanger sur le pacte éducatif mondial15. Parmi les participants, on trouve Stefania Giannini, sous-directrice générale de l'UNESCO pour l'éducation, Jeffrey Sachs, lui aussi très impliqué dans diverses responsabilités au sein des Nations-Unies, Leslee Udwin, militante féministe récompensée à deux reprises par l'ONU pour son combat en faveur des droits de l'homme, José Maria del Corral, un proche de François récompensé par l'UNICEF. La note introductive de ce programme (p. 3) cite même les items 2 et 3 des Objectifs du Millénaire pour le Développement, respectivement « l'éducation primaire pour tous » et « l'égalité des sexes », et la moitié de ses notes de bas de page renvoie à des documents de l'ONU. Or, se réclamer de ces objectifs devrait normalement poser problème à l'Académie Pontificale des Sciences Sociales, organisatrice de l'atelier. En effet, l'item 5 des OMD (« améliorer la santé maternelle ») inclut l'accès à la contraception et à ce que l'on nomme pudiquement la « planification familiale » (voir les p. 31 à 39 du rapport de 2012). Tout cela ne semble pas très catholique… Mais François n'a-t-il pas déclaré que nous devions obéir aux Nations-Unies ?

   L'intervention de Jeffrey Sachs lors de cet atelier s'avère très significative des liaisons dangereuses que l’Église catholique cultive actuellement avec les instances mondialistes. Pendant une demi-heure, l'économiste disserte sur les moyens financiers qui permettraient d'assurer l'éducation de toute la planète. À un aucun moment, la question du contenu précis de cette éducation n'est vraiment abordée. Son allocution se termine sur ce qui ressemble à d'excellentes nouvelles. En effet, les plus grandes fortunes du monde (Bill Gates…) et ses plus hautes instances se déclarent prêtes à soutenir financièrement le pacte éducatif mondial du pape : les agences onusiennes (UNICEF, UNESCO...), le Fonds Monétaire International, l'Union Européenne… Et là, on peine à croire qu'il s'agisse, de la part de ces instances mondialistes, de soutenir une éducation authentiquement catholique… Surtout lorsque l'on voit apparaître, dans la liste de Jeffrey Sachs, les promoteurs des Objectifs de Développement Durable du Secrétaire Général de l'ONU, dont il fait lui-même partie. Or, parmi ces ODD, on retrouve l'accès à la contraception et à la « planification familiale ». En fait, durant son intervention, Jeffrey Sachs se réclame constamment des objectifs onusiens, sans que personne ne bronche. Tout se passe comme s'il n'y avait pas d'incompatibilité majeure entre ces objectifs et la morale catholique…

   Conclusion

   Le pacte éducatif mondial voulu par le pape se présente donc comme une étape décisive dans la mise en place d'une nouvelle spiritualité globale ; une spiritualité sous-tendue par une vision du monde relativiste, panthéiste et antispéciste, débarrassée de Jésus-Christ et de la morale catholique ; une spiritualité à laquelle même les entités mondialistes et satanistes peuvent apporter leur soutien16, car elle s'inscrit pleinement dans leur projet d'asservissement mondial ; une spiritualité que beaucoup de catholiques promeuvent sans même en avoir conscience, sous le nom d'écologie intégrale.

   N'en déplaise aux papolâtres de tous crins, on ne peut que pointer du doigt la très lourde responsabilité du pape François dans cette subversion sans précédent de la doctrine catholique. Bien sûr, cela n'empêche bien sûr pas de prier pour sa conversion et pour le salut de son âme. Mais il est évident que s'il se comporte jusqu'à la fin comme le faux prophète décrit par saint Jean dans l'Apocalypse, il connaîtra le même sort que lui : « Et la bête fut prise, et avec elle le faux prophète, qui avait fait devant elle les prodiges par lesquels il avait séduit ceux qui avaient pris la marque de la bête et adoré son image. Ils furent tous les deux jetés vivants dans l'étang ardent de feu et de soufre. » (Apocalypse, XIX, 20)

 

NOTES

1 Pour bien saisir la rhétorique relativiste à l'œuvre dans cette phrase, voir plus bas le paragraphe sur les effets nivelants de la coordination.

2 Cf. MONTAGNA, Diane, SCHNEIDER, Athanasius, Christus Vincit: Christ’s Triumph Over the Darkness of the Age, New-York, Angelico Press, 2019, p. 165-166.

3 « L’Espérance est une vertu surnaturelle, infuse par Dieu dans notre âme, par laquelle nous désirons et nous attendons la vie éternelle que Dieu a promise à ses serviteurs, et les secours nécessaires pour l’obtenir. » Cf. le Grand Catéchisme de saint Pie X, chapitre I, cinquième partie, § 6.

4 Bien sûr, dans la promotion de cette fraternité, tout comme dans celle de la prétendue maternité de la terre, saint François d'Assise, avec son Cantique des créatures, constitue l'alibi parfait. Mais il faut ici rappeler que le poverello se voulait poète, et non pas théologien ; qu'il se méfiait de l'érudition livresque ; qu'il ne souhaitait pas que ses fils spirituels entreprennent des études. Dans ces conditions, se servir de ses écrits comme d'une base doctrinale sûre et certaine, c'est juste ne pas faire preuve de sérieux…

5 § 10-11 ; 62 ; 124 ; 137 ; 156 ; 159 ; 225 ; 230.

6 GRECE (Alain de Benoist et Charles Champetier), Manifeste pour une renaissance européenne. À la découverte du GRECE. Son histoire, ses idées, son organisation, Paris, 2000, p. 92. Cité par François Stéphane, « La Nouvelle Droite et l'écologie : une écologie néopaïenne ? », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2009/2 (n° 12), p. 132-143. DOI : 10.3917/parl.012.0132. URL : https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-132....

7 Ibidem, p. 92. Cité par le même article de François Stéphane.

8 Ibid.

10 Cf. « Falk Van Gaver : « Le christianisme est riche en alternatives au capitalisme » entretien avec Kévin Boucaud-Victoire publié sur Aleteia le 1er septembre 2017, que l'on peut lire à l'adresse suivante : https://fr.aleteia.org/2017/09/01/falk-van-gaver-le-christianisme-est-riche-en-alternatives-au-capitalisme/

11 Cf. « Falk, l'écologiste intégral de Raiatea », entretien publié le 30 octobre 2018 sur le site hommesdepolynesie.com, et que l'on peut lire à l'adresse suivante : http://hommesdepolynesie.com/societe/falk-l-ecologiste-integral-de-raiatea/

12 Cf. « Falk Van Gaver : « Le christianisme est incompatible avec le capitalisme et le système-argent », entretien avec Kévin Boucaud-Victoire, publié le 11 septembre 2017 sur le site Le Comptoir, et que l'on peut lire à l'adresse suivante : https://comptoir.org/2017/09/11/falk-van-gaver-le-christi...

13 Cf. « Desafios ecológicos do fim do milênio », article de Leonardo Boff paru le 12 mai 1996 dans le quotidien Folha de S.Paulo, que l'on peut consulter à la page suivante : https://www1.folha.uol.com.br/fsp/1996/5/12/mais!/3.html

14 Cf. « Les mutations en cours dans la théologie de la libération », article originellement paru dans Cencos Iglesias, avril 1996, Mexico, puis traduit en français et publié par DIAL (Diffusion de l'Information sur l'Amérique Latine), dans l'exemplaire D 2102 du 1-15 octobre 1996. On peut lire cette interview ici : http://www.dial-infos.org/05_archives/html_05texte/dialD2102.html. Je souligne.

15 On peut visionner les interventions des différents participants à l'adresse suivante : https://www.youtube.com/playlist?list=PLPHLdH2gKE0edlKOAB...

16 D'après Jeffrey Sachs, Bill Gates est intéressé par le pacte éducatif mondial. Selon le journaliste très bien informé Edward Pentin, son épouse Melinda Gates a rencontré le pape en privé en novembre 2019. Et tout le monde a pu voir cette dame s'afficher avec une croix inversée en pendentif, lors du show Today, diffusé le 8 mai 2020. C'est ce que l'on appelle pousser très loin le dialogue interreligieux…

23/09/2019

Walt Disney, la subversion par petites touches (II)

Pour ceux qui aurait qui auraient raté l'épisode 1, il est toujours temps de rattraper votre retard en cliquant ici.

Episode 2 : A l'avant-garde de l'antispécisme

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Au commencement

« L'antispécisme, où est le problème ? », demanderez-vous peut-être, tant cette idéologie s'impose avec de plus en plus de force aux mentalités occidentales. Un problème majeur : l'antispécisme prétend mettre sur un pied d'égalité l'homme et l'animal. Les humains ne représentent plus une espèce à part, image de Dieu et sommet de la création, mais sont ravalés au rang des bêtes, auxquelles ils devraient témoigner autant d'égards qu'à leurs propres semblables. Ce faisant, l'antispécisme vient contredire le projet divin tel qu'énoncé par Dieu dès la Genèse : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. »1 Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, n'hésitez pas à écouter cette conférence. Vous comprendrez alors sans peine que promouvoir l'antispécisme comme le fait Disney, c'est travailler discrètement mais sûrement à saper la vision chrétienne de l'homme, sur laquelle nos sociétés se sont fondées durant des siècles.

La grande communauté vivante

Vous la trouvez presque à chaque fois que vous regardez un film Disney. Vous ne la voyez plus tant elle fait partie du paysage. C'est l'air même que vous respirez. De quoi s'agit-il exactement ? Dans la vraie vie, les animaux de différentes espèces et de taille à peu près équivalente, dans une écrasante majorité, s'évitent les uns les autres… ou s'ils ne s'évitent pas, leur rencontre débouche très fréquemment sur un affrontement. Ce simple fait, que tout un chacun peut constater, a même fourni à la langue française l'une de ses expressions imagées, « être comme chien et chat » qui désigne le fait que deux personnes s'avèrent incapables de s'entendre. Bref, les animaux des diverses espèces, sauf lorsqu'il s'agit de s'entre-dévorer, vivent juxtaposés. Ils se tolèrent tant qu'ils ne constituent pas une menace les uns pour les autres. C'est du moins la tendance générale. Chez Disney, rien de tel. Cette juxtaposition de micro-sociétés correspondant chacune à une espèce n'existe pas. Tous semblent faire partie d'une même et grande communauté de solidarité et d'entraide.

Dès Blanche-Neige, le spectateur voit les animaux de la forêt se grouper comme un seul homme autour de la jeune princesse. Cerfs, chevreuils, lapins, écureuils, tortues et oiseaux ne paraissent éprouver aucune gêne dans le fait de se côtoyer, et même de faire ensemble le ménage et la vaisselle des nains ! Dans Bambi, le jeune faon a pour amis le lapin Panpan et la mouffette Fleur : de toute évidence, les barrières entre espèces n'y existent pas. La même impression se dégage du Livre de la Jungle, où l'ours Baloo et la panthère Bagheera se relaient pour accompagner Mowgli chez les hommes. De même, il n'y a pas que des chats dans Les Aristochats : souris, jument, oies, chacun y va de son petit service pour aider les chats à rentrer chez leur maîtresse. Plus récemment, Frère des Ours (2003) relate une histoire où deux élans deviennent les compagnons de voyage de deux ours. Un an plus tard, dans La Ferme se rebelle (2004), poules, cochons, vaches et chèvres tiennent conseil pour sauver de la vente aux enchères l'exploitation agricole de Pearl, leur propriétaire. Quant à l'histoire de Chicken Little (2005), elle se passe dans une ville où tous les animaux habitent pacifiquement ensemble. Le héros du film, un jeune poulet, a pour amis une cane, un cochon et un poisson. Dans la cité de Zootopia, qui donne son nom au film qui lui est consacré, les animaux vivent ensemble toutes espèces confondues. Comme l'explique la jeune lapine Judy au début du film : « à seulement 340 km d'ici, se trouve la grande cité de Zootopia, dans laquelle nos ancêtres se réunirent pour la première fois en paix... ».

Les seuls animaux qui menacent sérieusement cette solidarité sont les prédateurs actifs, qui constituent parfois les méchants de ces films : dans Le Livre de la Jungle, le tigre Shere Khan ; dans La Belle et le Clochard, le gros rat qui menace le bébé de Jim et de sa femme. Dans Zootopie, les prédateurs ne représentent plus de menace pour le reste des animaux, dans la mesure où ils ont renoncé à leur instinct carnassier, comme l'explique d'emblée l'héroïne :

« La peur, la traîtrise, la soif de sang ; telles étaient les forces qui régnaient sur le monde il y a des milliers d'années ; un monde où les proies vivaient dans la peur des prédateurs, et où les prédateurs avaient ce besoin biologique et incontrôlable de découper, démembrer et… du sang ! du sang ! du sang ! et… la mort. À cette époque, le monde était divisé en deux clans : les méchants prédateurs et les douces proies. Mais avec le temps, nous avons évolué, et nous avons abandonné nos mœurs sauvages et primitives. Aujourd'hui, prédateurs et proies vivent en harmonie… »

En prononçant ces derniers mots, Judy la lapine prend dans ses pattes celles d'un jeune tigre, qui fait partie de ses camarades de classe. La zootopie à l'état pur…

Toutefois, même dans le monde harmonieux rêvé par Walt Disney Pictures, certaines espèces, plus petites que les autres, semblent exclues a priori de cette grande solidarité des vivants. Tout comme ses amis, Simba, le héros du Roi Lion, se nourrit de larves sans éprouver la moindre compassion pour les pauvres bestioles. Cela ne lui pose aucun problème éthique, ainsi qu'en témoigne la chanson « Hakuna Matata » (« pas de souci »), chantée juste après son repas. De même, au moment où le film Frère des Ours fait retentir une chanson sur la solidarité entre animaux (« Bienvenue dans le clan familial /Bienvenue à toi, frère animal »), les ours sont en train de se livrer sans scrupules à une partie de pêche au saumon ! Enfin, lorsque la lapine Judy arrive dans son appartement à Zootopia, la propriétaire des lieux lui précise qu'il est loué avec « épouillage compris une fois par mois ». Même dans la grande ville où les animaux vivent en paix, les parasites n'ont donc pas le droit de cité. Comme l'écrivait si bien George Orwell dans La Ferme des animaux, « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. » Cette limite dans la logique antispéciste de Disney ne constitue cependant qu'une exception qui vient confirmer la règle.

Tous frères !

De tels scénarios ne visent pas seulement à susciter le rire ou l'attendrissement du spectateur, mais ils participent d'une véritable vision du monde, qu'ils s'efforcent de lui transmettre. Voici des propos de Walt Disney rapportés en 1953 par The American Magazine :

« Ce que j'ai appris du monde animal, et ce que chacun en apprendra s'il l'étudie, c'est un sentiment renouvelé de parenté avec la Terre et tous ses habitants »2

Oui, vous avez bien lu. Dans le monde de Walt Disney, l'homme et l'animal sont de la même famille. C'est ce que l'on pouvait déjà déduire du Livre de la jungle (1967) où Mowgli, élevé par des loups, se considère et est considéré comme faisant partie de leur clan : « le petit d'homme est comme un de nos fils », affirme le loup Rama. Cela n'empêche d'ailleurs pas le héros d'appeler Baloo « papa ours ». Quatre ans plus tard, le film Les Aristochats (1971) mettait en scène une vieille dame qui lègue toute sa fortune à des chats. Ceux-ci dorment dans un berceau semblable à celui des nourrissons, près du lit de leur maîtresse. De toute évidence, elle perçoit donc les chats comme ses propres enfants. Cette parenté, on la retrouve également dans La Ferme se rebelle (2004), où Pearl refuse de vendre l'un ou l'autre de ses animaux afin de sauver financièrement son exploitation. Voici en quels termes elle justifie sa décision : « C'est ma famille ! personne ne vend sa famille ! » Plus loin dans le film, elle appelle ses vaches « mes filles ». Quelques minutes plus tard encore, elle contemple avec attendrissement des photos d'elle-même en compagnie de ses vaches. Des photos de famille, bien sûr… Sur l'une d'entre elles, on voit la fermière en train de nourrir un de ses veaux au biberon. Cette promotion d'une notion pour le moins élargie de la famille ressort aussi nettement de Frère des Ours (notez le titre au passage). Ce film a la particularité de s'ouvrir et de se clore sur la même chanson, Les Grands Esprits, dont voici le refrain final :

Vous tous, nos ancêtres des temps anciens,
Prenez-nous par la main,
Remplissez nos cœurs de votre sagesse !
Oui, dites-nous qu'à vos yeux,
Nous sommes comme les autres,
Que nous sommes tous des frères dans ce monde qui est le nôtre.
Nous sommes tous égaux sur terre,
Nous sommes tous des frères !

La chanson prend un sens très différent selon le contexte où on l'entend. Au début du film, elle illustre sur le plan sonore la présentation de la tribu où vivent Kenaï, héros de l'histoire, ainsi que ses deux frères. Le spectateur est donc tout naturellement amené à considérer que cette chanson célèbre une fraternité toute humaine : celle qui unit les trois frères, et celle, plus large, qui rassemble les membres de la tribu. À la fin du film, la chanson acquiert une autre signification : après de nombreuses aventures, Kenaï revient chez les siens transformé de manière libre et définitive en ours, et accompagné de Koda, un ourson qu'il a adopté. De manière très symbolique, lors d'une cérémonie rituelle, il reçoit l'autorisation d'apposer sa patte et de laisser ainsi sa trace sur le mur où figurent les empreintes des mains de tous les hommes du clan. La chanson Les Grands Esprits célèbre donc désormais une fraternité élargie, qui comprend l'ensemble des hommes et des animaux.

Un double niveau de compréhension existe également dans la fameuse chanson de Pocahontas, L'air du vent, où la jeune fille s'adresse au capitaine John Smith. Elle commence comme un simple plaidoyer antiraciste : l'explorateur ne devrait pas qualifier Pocahontas et les siens de « sauvages ». Mais dès le deuxième couplet, la chanson prend un tour nouveau :

Tu crois que la Terre t'appartient toute entière.
Pour toi, ce n'est qu'un tapis de poussière.
Moi, je sais que la pierre, l'oiseau et les fleurs
Ont une vie, ont un esprit et un cœur.
Pour toi, l'étranger ne porte le nom d'homme
Que s'il te ressemble et pense à ta façon,
Mais en marchant dans ses pas, tu te questionnes :
Es-tu sûr, au fond de toi, d'avoir raison ?

Ce couplet commence par quatre vers antispécistes et se termine par quatre vers antiracistes. Le spectateur est donc ainsi amené à comprendre que l'antispécisme constitue le prolongement naturel de l'antiracisme. L'entremêlement des deux thèmes est encore plus évident si l'on prend en compte les images sur lesquelles ces paroles sont chantées : lorsque retentissent les quatre derniers vers, on voit John Smith sur le point d'abattre au fusil un ours. Pocahontas l'en empêche, et le mène, en suivant les traces de l'animal (« Mais en marchant dans ses pas, tu te questionnes »), jusqu'à sa tanière. Elle y saisit un ourson qu'elle met dans les bras du capitaine, qui écoute sagement la leçon. On voit donc que, à en croire la rhétorique de ce passage, l'ours est un homme comme les autres…

Plus tard dans la chanson, Pocahontas ira même plus loin :

« Je suis fille des torrents, sœur des rivières.
La loutre et le héron sont mes amis,
Et nous tournons tous ensemble au fil des jours
Dans un cercle, une ronde à l'infini. »

La fraternité dansante rêvée par Pocahontas s'étend donc même au-delà du règne animal, pour rejoindre le règne minéral, celui « des torrents » et « des rivières ». Rassurez-vous, le règne végétal n'est pas oublié par le film, puisque la jeune indienne converse régulièrement avec un arbre répondant au doux nom de « Grand-Mère Feuillage ».

La lutte contre les stéréotypes d'espèce

Bien évidemment, dans le monde rêvé par les productions Disney, cet idéal de fraternité universelle fonctionne à merveille : il suffit de voir le sourire béat de l'ourse lorsqu'elle voit Pocahontas s'emparer de l'un de ses oursons dans la tanière. Il suffit d'entendre l'héroïne chanter de son ton le plus convaincu : « Comprends-tu le chant d'espoir du loup qui meurt d'amour ? » De même, dans Frère des Ours, Kenaï reçoit comme totem l'ours, symbole de l'amour, d'après la chamane de la tribu. Tout le message du film tend d'ailleurs à donner raison à cette dernière. Pas question de véhiculer d'odieux préjugés, selon lesquels l'ourse aurait tendance à devenir agressive envers quiconque s'approcherait de ses petits, ou d'après lesquels le loup représenterait un quelconque danger pour l'être humain. On le constate, dans les films Disney tout comme dans la vraie vie, les antispécistes pataugent dans un irénisme absolument délirant…

Prolongement de la très idéologique lutte contre les stéréotypes de genre, la lutte contre les stéréotypes d'espèce émerge lentement, mais sûrement. Elle apparaît déjà dans les productions Disney, souvent abordée sous l'angle comique (pour le moment…). En voici un exemple dans Le Monde fantastique d'Oz (2013) :

Le magicien : On va trouver la méchante sorcière, on va voler sa baguette, je recevrai une montagne d'or et... tu recevras une montagne de bananes. D'accord ?

Le singe : Des bananes ! Oh, je vois ! Parce que je suis un singe, je raffole des bananes, c'est ça ? Ça, c'est un vilain stéréotype.

Le magicien : Tu n'aimes pas les bananes ?

Le singe : Evidemment que j'aime les bananes ! Ch'uis un singe ! Mais j'aime pas qu'on le tienne pour acquis !

Tenez-vous le pour dit, spectateurs !

Ce bref dialogue n'a rien d'un incident isolé. Dans Zootopia, on en trouve un du même genre lorsque la lapine Judy fait son entrée dans la police. Elle se présente alors à un guichet où Benjamin Clawhauser, un guépard, la reçoit avec enthousiasme :

Benjamin Clawhauser : Oh ! Eh ben ça, alors ! Ils ont vraiment recruté un lapin ! Chouette ! Je dois avouer que c'est encore plus mignon que ce que je pensais !

Judy : Oh ! Euh… Vous l'ignorez peut-être, mais… un lapin peut dire à un autre lapin qu'il est… mignon, mais quand c'est un autre animal qui le dit, c'est un peu, euh…

Benjamin Clawhauser : Ah ! Ch'uis trop désolé ! Moi, Benjamin Clawhauser, celui que tout le monde prend pour un flic enrobé qui adore les beignets, ch'uis en train de te stéréotyper, quoi…

Judy : Nan, c'est pas grave…

Plus tard dans le film, quelques prédateurs devenus fous retournent à l'état sauvage et agressent d'autres animaux, déclenchant un vent de panique dans la cité. Tous les prédateurs sont alors perçus par les autres habitants comme une véritable menace. Le guépard Benjamin Clawhauser, qui semble pourtant se nourrir principalement de beignets, devient à son tour la cible d'horribles préjugés… au point de perdre son poste de réceptionniste. Judy le surprend en train de faire ses cartons :

Judy : Clawhauser ! Que… Qu'est-ce que tu fais ?

Benjamin Clawhauser : Ils pensent qu'il vaudrait mieux que… qu'il vaudrait mieux qu'un prédateur comme moi ne soit pas le premier visage que les gens voient en entrant dans les locaux de la police.

Judy : Quoi ?

Benjamin Clawhauser : Alors ils me transfèrent aux archives. C'est au sous-sol.

Oh ! Le pauvre chou… Rions, tant qu'il demeure encore possible de le faire, de cette lutte engagée par les antispécistes contre les stéréotypes d'espèces. Avec le travail de rééducation entrepris par des géants comme Disney, les blagues « spécistes » seront bientôt aussi mal vues que les plaisanteries sexistes ou racistes. Et sûrement plus tôt qu'on ne pense…

L'homme, ce grand handicapé de la nature

Si représenter les animaux de manière stéréotypée constitue un acte moralement répréhensible, il n'en va pas de même dès lors qu'il s'agit d'exprimer son mépris pour l'homme. Aussi Walt Disney a-t-il un jour déclaré au journaliste Dick Strout :

« Je respecte la nature et les créatures de la nature. D'elles, l'homme peut apprendre à vivre. L'homme est le plus impuissant et le plus pathétique de tous les animaux »3

Avec de telles déclarations, il n'est guère étonnant de voir abonder dans les films Disney les situations où l'homme se révèle inférieur à l'animal. Ainsi Lieutenant Robinson Crusoé (1966) met-il en scène un singe assez intelligent pour gagner aux cartes contre un officier de marine. Tous deux ont devant eux un verre d'alcool asiatique, mais le singe a la sagesse de ne pas y toucher, tandis que l'homme s'en ressert sans mesure, jusqu'à terminer la soirée ivre mort. Il faut dire que ce singe a été sélectionné par la NASA pour être envoyé dans l'espace… À la fin de l'histoire, c'est pour fêter le retour de l'animal, et non celui du lieutenant, que tout l'équipage du porte-avion est réuni au garde-à-vous. L'espion aux pattes de velours (1965), quant à lui, nous vend l'histoire de PV, un chat grâce auquel une employée de banque prise en otage va pouvoir être délivrée, malgré la balourdise des agents du FBI censés le suivre. Avec Ratatouille (2007), le spectateur découvre l'histoire d'un jeune commis de restaurant incapable de cuisiner, jusqu'à ce qu'il se fasse guider par un rat qui, caché sous sa toque, le dirige comme un pantin.

Les films multiplient les situations où les animaux sauvent la mise à ces crétins d'humains, trop peu dégourdis pour se tirer d'affaire eux-mêmes. Heureusement que les souris font preuve de suffisamment de débrouillardise pour délivrer Cendrillon, assez cruche pour se laisser enfermer au grenier par sa marâtre (Cendrillon, 1950). Heureusement aussi que les animaux de la forêt sont suffisamment réactifs pour se précipiter à la mine, et prévenir ainsi les nains du danger couru par Blanche-Neige en présence de la vieille femme à la pomme (Blanche-Neige et les Sept Nains, 1937). Heureusement que le chien Clochard arrive à point nommé pour tuer l'énorme rat qui menace le nourrisson de ses futurs maîtres (La Belle et le Clochard, 1955). Et heureusement enfin que le dalmatien Pongo a assez d'initiative pour trouver une épouse à Roger, célibataire endurci (Les 101 Dalmatiens, 1961). Notez bien que dans ces trois derniers cas, les animaux commencent par essuyer des reproches de la part des personnes qu'ils essaient d'aider ! Décidément, les pauvres humains ne comprennent pas grand-chose à la vie…

Dans maintes situations, les animaux laissent entendre le peu de bien qu'ils pensent des humains. Dans La Belle et le Clochard, Lady se montre extrêmement choquée que son maître ait pu la désigner par l'expression « ce chien », ce qu'elle est pourtant. Son voisin Jock, un terrier écossais, tente alors de la consoler par ces paroles :

À votre place, Miss Lady, je n'accorderais pas à tout cela trop d'importance : n'oubliez pas que ce ne sont que des humains, après tout...

De même, dans Le Livre de la Jungle, au moment où il apprend qu'il faut emmener Mowgli au village des hommes, l'ours Baloo laisse échapper cette protestation :

Comment, au village des hommes ? Mais ils vont le gâcher ! Ils vont faire de lui un homme !

Enfin, pour conclure cette liste d'exemples, laissons la parole à Diaval, un corbeau que la sorcière Maléfique, dans le film de 2014 qui porte son nom, vient de métamorphoser en humain afin de lui sauver la vie :

Diaval (après avoir inspecté son corps) : J'étais si beau ! Pourquoi m'avez-vous transformé de la sorte ?
Maléfique : Tu aurais préféré être battu à mort ?
Diaval (après s'être à nouveau regardé) : Je ne sais pas…

On l'aura compris, pour Disney, l'homme n'est ni la plus belle, ni la plus intelligente des créatures.

Oh ! Les vilains chasseurs !

Chez Disney, exception faite de Blanche-Neige où il renonce finalement à tuer la jeune fille (mais n'en demeure pas moins effrayant), le chasseur est systématiquement représenté sous un jour négatif : soit ridicule, comme Gregory Benson dans L'Espion aux pattes de velours, Amos Slade dans Rox et Rouky, ou encore Gaston dans La Belle et la bête, soit carrément méchant, comme dans Bambi, où il est réduit à l'état de présence invisible et menaçante. La mère du jeune faon, d'un ton noble et qui n'admet pas de réplique, met en garde son fils contre la malignité profonde de l'être humain.

Bambi : Pourquoi a-t-il fallu courir si vite ?
Mère de Bambi : Les hommes. Les hommes étaient dans la forêt.

Notez bien que le personnage ne parle pas des chasseurs, mais des hommes en général, tous englobés dans une même exécration. Quelques minutes plus tard, il parfait malgré lui sa démonstration en mourant d'un coup de fusil. Déjà à l'époque de la sortie du film, Outdoor life, magazine américain dédié à la chasse, avait perçu le film comme une insulte. De fait, Walt Disney avait des convictions anti-chasse bien ancrées depuis sa prime jeunesse4.

Cela dit, il existe bel et bien un bon chasseur chez Disney. Sa définition est toute simple, et va à rebours de l'opinion commune : est un bon chasseur celui qui ne prend rien. Le Petit indien, sorti en 1937 dans le cadre des Silly Symphonies, nous raconte ainsi la partie de chasse du jeune Hiawatha. Copieusement ridiculisé pendant la huitaine de minutes que dure le court-métrage (son pantalon tombant lui laisse régulièrement les fesses à l'air), ce petit chasseur finit sa journée bredouille. Et la voix off de conclure :

« Et ainsi s'acheva la journée de chasse de Hiawatha. Et le castor l'appela « frère », joyeux et fier de le raccompagner, tandis que le lapin, le cerf et l'écureuil le regardaient s'éloigner comme on regarde de loin un ami qui s'en va. Vaillant chasseur, Hiawatha ! Vaillant guerrier, Hiawatha ! Ô vaillant chef, Hiawatha ! Vaillant petit Hiawatha »5

Et si Amos Slade paraît finalement un peu moins méchant à la fin de Rox et Rouky, c'est bien parce qu'il renonce en définitive à tuer le renard. Les humains de Frère des Ours (2003), quant à eux, ne parviennent à conserver la sympathie du spectateur que parce qu'ils finissent par considérer la chasse comme un mal à éviter.

Même dans l'univers carnivore par excellence du Roi Lion, les héros ne sont jamais représentés en train de chasser. Le cimetière d'éléphants se situe dans le territoire des horribles hyènes, jonché d'ossements. C'est d'ailleurs quand ces dernières envahissent le royaume des lions que celui-ci se voit lui aussi peu à peu recouvert de débris animaux. Même lorsque l'usurpateur Scar charge Sarabi et les autres lionnes de la chasse, elles ne s'y rendent pas, au motif qu' « il n'y a plus rien ». Quant au héros Simba, il se contente dans son exil d'un menu alimentaire à base de larves ! Seule exception du film, une brève scène nous montre la lionne Nala en train de traquer le phacochère Pumbaa, compagnon de Simba. Mais cette scène a lieu à un moment où la jeune lionne n'a pas été identifiée pour ce qu'elle est, à savoir l'amie d'enfance du prince Simba. Ce malentendu dissipé, tout rentre dans l'ordre et Nala renonce à son déjeuner de phacochère. Elle est donc représentée en train de chasser à un moment bien précis, un moment où l'on ne sait pas encore qui elle est, et où le spectateur peut croire qu'il s'agit d'une méchante. L'équivoque dissipée, le motif de la chasse disparaît comme par magie. On le voit, l'exception vient ici confirmer la règle : les gentils de Disney ne chassent pas.

Les films de l'Oncle Walt mettent souvent en scène une autre figure, qui appartient à une catégorie cousine du chasseur : celle de l'exploiteur d'animaux. Très régulièrement, on nous sert des méchants qui le sont parce qu'ils utilisent les animaux à leur profit. Ainsi Cruella d'Enfer veut-elle obtenir à tout prix de la fourrure de chien (Les 101 Dalmatiens, 1961). Dans le film Beethoven (1992), qui a connu un succès mondial, le Docteur Varnick désire avoir un saint-bernard à sa disposition dans le but de tester sur son crâne un nouveau prototype de balles explosives. Quant au majordome Edgar (Les Aristochats, 1970), il veut à tout prix capter l'héritage que sa riche employeuse destine en premier lieu à des chats. Dans chacun de ces cas, la rhétorique du film permet au spectateur d'adhérer sans problème au fait que ces personnages sont méchants : pour parvenir à leurs fins, ils recourent tous au vol d'animaux, procédé que tout un chacun trouvera détestable, indépendamment de toute réflexion sur ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la question animale. Autrement dit, les moyens évidemment mauvais qu'emploient ces personnages dispensent le spectateur de toute interrogation ultérieure (et infiniment plus subtile...) sur la fin qu'ils poursuivent : est-il ou non légitime de s'habiller avec des peaux de bêtes ? Est-il ou non légitime d'utiliser des animaux dans le cadre d'expériences scientifiques ? Enfin, est-il ou non légitime de léguer toute sa fortune à des chats ?

Une espèce en voie de disparition

Pourtant, s'il existe bien une espèce menacée dans les films Disney, il s'agit très certainement de l'espèce humaine elle-même. Les cadrages au ras du sol du film La Belle et le Clochard laissent clairement entendre qu'il faut y considérer les hommes comme des personnages plus que secondaires. Aussi n'entrevoit-on leur visage que de temps à autre. De même, les personnages phares de la firme Disney (Mickey, Dingo, Donald, Picsou…) sont des animaux anthropomorphes… qui viennent purement et simplement remplacer les humains ! Ils vivent dans une société ressemblant à s'y méprendre à la société des hommes, mais sans ces derniers. Le même constat s'impose dans Robin des Bois, Chicken Little et Zootopie. C'est d'autant plus étonnant dans cette dernière production qu'à Zootopia, toutes les espèces sont censées vivre en harmonie. Dans ce cas-là, pourquoi l'espèce humaine n'y trouverait-elle pas sa place ?

Le cas de Zootopie s'avère particulièrement intéressant. Dès le début, Judy la lapine et ses camarades de classe informent le spectateur que les animaux ont évolué :

Lapine : Chaque jeune mammifère peut rêver d'un avenir fait d'une multitude de possibilités !

Mouton : Eh oui ! Je n'ai plus à me cacher au milieu d'un troupeau. Si je le veux, je peux devenir astronaute !

Tigre : Rien ne m'oblige à devenir un chasseur solitaire : je peux choisir de partir à la chasse aux exonérations fiscales et devenir inspecteur des impôts !

Lapine : Et moi, je peux contribuer à rendre le monde meilleur, alors quand je serai grande, je serai agent de police !

Ces animaux ont évolué au point de pouvoir remplacer l'homme dans toutes ses activités. Quant à l'homme lui-même, il a purement et simplement disparu, peut-être supplanté par ces espèces jadis inférieures à lui.

Conclusion

Certains s'évertuent à détecter du spécisme (et des stéréotypes d'espèce...) dans les films Disney6, parce qu'un certain anthropocentrisme y a malgré tout encore cours. C'est assez logique, dans la mesure où ceux qui vont consommer ces films restent des humains, et qu'il faut réussir à les intéresser à l'histoire. En outre, ceux qui produisent ces films appartiennent eux aussi à l'espèce humaine. Le jour où des vaches feront du cinéma pour leurs congénères, le résultat ne manquera pas d'être sensiblement différent… Blague à part, il faut vraiment avoir basculé dans l'hystérie et le jusqu'au-boutisme animalistes de ces dernières années pour ne pas voir la contribution capitale qu'ont apportée l'oncle Walt et son empire à la cause antispéciste.

Avec le temps, la défense de cette cause est devenue de plus en plus explicite. En 2016, Zootopie a sans doute atteint un sommet. Témoigne également de cette évolution la nouvelle version du Livre de la Jungle. Dans le dessin animé de 1967, Mowgli finissait par rejoindre un village et par s'intégrer à la société humaine. À l'issue du film en prise de vues réelles de 2016, Mowgli choisit au contraire de rester parmi les loups, comme l'un des leurs. Cette différence dans le dénouement de l'histoire ne doit rien au hasard. Elle rend très clairement compte d'une évolution des mentalités, de plus en plus gagnées par le mensonge antispéciste.

On ne veut détrôner l'homme que parce que l'on veut en finir définitivement avec son Créateur. Michel Onfray a très bien mis en évidence le fait que cet antispécisme est en son fond une fronde contre les grandes religions traditionnelles. Comme il le résume :

Les fondations ontologiques de l’antispécisme sont radicalement antimonothéistes puisque les trois monothéismes proposent un récit légendaire de la création dans lequel l’animal est présenté comme une quantité négligeable par rapport à “l’homme” dont on affirme qu’il est le sommet de la création. Pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, le monde est séparé : entre Dieu et la nature, entre la nature et l’homme, entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal. D’un côté le créateur, de l’autre, sa création. Dans la création, d’un côté les créatures humaines, de l’autre, toutes les autres créatures, dont les animaux.7

Chez Disney, « le monde » n'est pas « séparé ». Les hommes font partie des animaux, comme le répétait déjà en son temps Jiminy Cricket dans la petite présentation éducative « You're a human animal ». Le présupposé idéologique qui sous-tend cette affirmation est bien sûr l'évolutionnisme darwinien, illustré dès 1940 dans Fantasia (section « Le Sacre du printemps »).

Tant que l'homme accepte de s'insérer dans la grande communauté vivante comme un individu parmi d'autres, aucun problème ! Mais dès lors qu'il prétend dominer sur le reste de la création, comme il en a reçu l'autorisation divine dès son commencement, l'industrie Disney le classe aussitôt dans la catégorie du méchant. Ce faisant, elle ne fait que marcher sur les traces de son fondateur, qui a un jour déclaré :

Pourquoi les êtres humains, dès qu'ils arrivent dans un lieu, déclarent-ils la guerre aux oiseaux, aux animaux, aux poissons et à la faune de toutes sortes ? Pourquoi déclarent-ils la guerre aux arbustes et aux fleurs naturels, aux rivières et aux montagnes, aux champs et aux forêts ? Ils font un gâchis en détruisant l'équilibre de la nature. […] On ne voit jamais les animaux faire ça.8

Notez bien que l'idée d'une guerre entre l'homme et le reste des vivants ne prend sens que dans la mesure où l'on considère l'un et l'autre sur un strict pied d'égalité. C'est uniquement dans cette perspective que peuvent apparaître deux camps belligérants opposés, et qu'il faut alors, dans ce conflit mondial d'un nouveau genre, prendre parti et s'engager. Manifestement, Walt Disney a opté contre l'homme.

 

NOTES :

1 Genèse I, 28.

2 « I have learned from the animal world, and what everyone will learn who studies it, is a renewed sense of kinship with the Earth and all its inhabitants », The American Magazine, Crowell-Collier Publishing Company, 1953, vol. 155, p. 109.

3 "I respect nature and the creatures of nature. Man can learn a way of life from it. Man is the most helpless and pathetic of all animals", cité par MousePlanet.

4 WEST, Mark I., MERLOCK JACKSON, Kathy (éd.), Walt Disney, from Reader to Storyteller: Essays on the Literary Inspirations, Jefferson, North Carolina, McFarland & Company, Inc., Publishers, cop. 2015, p. 51.

5 DISNEY, Le Petit Indien, 1937. On peut visionner ce court-métrage ici.

6 Cf. par exemple la thèse de Oana Leventi-Perez, Disney's Portrayal of Nonhuman Animals in Animated Films Between 2000 and 2010, Georgia State University, 2011. On peut lire ce document ici.

7 « Michel Onfray : l’antispécisme », entretien avec Anne-Sophie Novel publiée le 19 septembre 2012 sur le site kaizen-magazine.com.

8 Cité dans KORKIS, Jim, « Walt's love of nature », article rédigé le 24 avril 2016 sur MousePlanet.com.