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22/06/2014

La Pentecôte contre le mondialisme

   Un antagonisme bien actuel

   Dimanche 8 juin, les Chrétiens ont célébré la fête de la Pentecôte. On oppose traditionnellement cet événement à celui de la construction de la tour de Babel, rapporté par le livre de la Genèse1. Pourquoi explorer aujourd'hui encore cet antagonisme ? Tout simplement parce qu'il perdure à notre époque. Actuellement, l’Église catholique entend continuer à vivre de la Pentecôte2. Actuellement aussi, certaines instances s'inspirent explicitement de l'esprit de Babel.

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   Quelles sont ces instances ? On peut citer le Conseil de l'Europe, qui publiait dès 1992 le poster ci-dessus. Avec la présence de la tour inachevée et la mention de l'unité des peuples par-delà la multiplicité des langues, celui-ci effectue sans aucun doute possible un rapprochement entre la construction européenne et le projet babélien, qui serait à reprendre. Mais il y a plus qu'une simple affiche. Le parlement européen de Strasbourg lui-même ressemble fort à une tour inachevée. Son architecture s'apparente à celle de la tour de Babel telle que l'a représentée Bruegel l'Ancien vers 1563. Bien entendu, même si n'importe qui peut effectuer ce constat, ce ne sont là que légendes urbaines et théories du complot... Idem pour le fait que l'Union Européenne ne semble exister qu'en attendant l'inclusion de ses pays dans un ensemble plus vaste, un gouvernement mondial par exemple3...

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   Exalter Dieu ou s'autodiviniser ?

   Mais revenons à nos deux épisodes bibliques. Tandis qu'au jour de la Pentecôte sont réunis à Jérusalem des gens de toutes les nations qui sont « sous le ciel »4, les habitants de Babel entendent construire une tour dont le sommet va « jusqu'au ciel »5. Notez la différence. Il ne s'agit pas d'un simple détail : être « sous le ciel » signifie être soumis à Dieu ; tenter de rejoindre par soi-même le ciel, cela revient à vouloir se faire dieu à la place de Dieu. C'est exactement le projet luciférien tel que nous le rapporte Isaïe : « J'escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu j'élèverai mon trône »6.

   De même, lors de la Pentecôte, il est question d'un nom à deux reprises . Pierre prêche à la foule en ces termes : « quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. »7 Il ajoute ensuite : « que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ. »8 À l'inverse, les habitants de Babel déclarent : « faisons-nous un nom »9. La manière dont les deux épisodes utilisent le terme « nom » s'avère éloquente : dans le cas des Apôtres, c'est Jésus qui se situe au centre de la prédication ; dans celui des habitants de Babel, c'est leur propre gloire qu'ils placent au cœur de leur projet.

 

    Distinction dans l'unité vs absorption dans une totalité

    L’Église considère la Pentecôte comme un événement éminemment trinitaire car, avec le don du Saint-Esprit, « en ce jour est pleinement révélée la Trinité Sainte »10. De fait, on perçoit dans cet épisode une manifestation de l'équilibre trinitaire, qui consiste, comme on l'a déjà vu, dans le maintien mystérieux d'une distinction dans l'unité. En effet, malgré la population cosmopolite qui écoutait la prédication des Apôtres, « chacun les entendait parler dans sa propre langue »11. L'unité se trouve miraculeusement réalisée : chacun se comprend. Cette unité n'est pas pour autant unité d'indistinction : il n'y a pas une langue unique, qui représenterait la langue du maître telle que l'est aujourd'hui l'anglais, et que chacun devrait connaître pour accéder au message du Christ. Non, chacun se voit bel et bien respecté dans son identité propre. Ce point d'équilibre, c'est celui que les habitants de Babel n'ont pu atteindre : en deux versets, ils passent d'un extrême à l'autre, c'est-à-dire de la communauté de vie et de la langue unique12 à l'absence totale d'unité que représente la dispersion des hommes sur toute la terre13. Parce qu'ils ont cherché cette unité en eux-mêmes au lieu de l'attendre de Dieu.

   Ce que nous disent de l'amour divin des mots comme « Tri-nité » et « comm-union », c'est toujours cette permanence d'une distinction dans l'union, et d'une union dans la distinction. Aimer, c'est accepter d'être uni à l'autre sans l'absorber et sans qu'il nous absorbe, sans le réduire à nous et sans qu'il nous réduise à lui14. Les missionnaires catholiques, malgré tout ce qu'on leur reproche couramment, ont globalement su conserver au cours des siècles ce respect des cultures qu'ils rencontraient. Si nous connaissons aujourd'hui encore le Nahuatl, c'est parce que les Jésuites ont fait l'effort d'apprendre cette langue pour s'adresser aux Aztèques. Avec la Pentecôte, nous voilà très loin du processus de standardisation massive qu'impliquerait l'avènement d'un état mondial.

 

   Église et contre-Église

   Puisque l'on parle de standardisation, jetons un nouveau coup d’œil sur l'affiche du Conseil de l'Europe. Avez-vous remarqué que les personnages représentés au premier plan ont la forme et la couleur de briques ? Voilà une autre référence à la tour de Babel, dont la Genèse nous précise qu'elle fut construite en briques15. Sur ce poster, les habitants de l'Europe/Babel servent eux-mêmes de matériaux à la construction de l'édifice. Cela rappelle furieusement la lettre où saint Pierre exhorte les « pierres vivantes » que sont les fidèles à former un « édifice spirituel »16, c'est-à-dire l’Église. Ce parallélisme entre entreprise babélienne et Église ne relève absolument pas du hasard. Les deux se trouvent bel et bien en concurrence.

   Quelle différence entre des pierres et des briques ? Une différence essentielle : la brique est un objet fabriqué en série, tandis qu'il n'existe pas deux pierres identiques. On objectera peut-être qu'il existe un procédé de standardisation des pierres : la taille. Mais précisément, dans l'Ancien Testament, on ne doit jamais ériger un autel de pierres taillées17. Or, on sait que l'autel, dont l'auteur sacré nous précise parfois qu'il se compose de douze pierres18 (qui préfigurent les douze apôtres), représente l’Église. Peut-être le temple de Salomon lui-même, symbole lui aussi de l'Église à venir, était-il fait de pierres brutes19. Le projet mondialiste voudrait faire passer tous les individus, tels des briques, par le même moule idéologique. L'édification de l’Église s'effectue au contraire en respectant l'unicité de chaque être.

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   Le jour de la Pentecôte est celui de la manifestation de l’Église20. Le Nouvel Ordre Mondial fonctionne, quant à lui, comme une contre-Église, où la divinité n'est plus Dieu mais l'être humain. Dans cette nouvelle vision du monde, les dix commandements de Dieu sont ainsi remplacés par les Droits de l'Homme21. C'est ce qu'illustre parfaitement le tableau de Jean-Jacques François Le Barbier la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, peint en 1789, l'on voit ladite déclaration gravée sur deux tables de pierre (cf. ci-dessus), tout comme le Décalogue dans l'Exode22. Pour ceux qui penseraient qu'il s'agit là d'une fantaisie personnelle de l'artiste, voici ci-dessous le document de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793, qui reprend exactement la même symbolique. À la loi divine, gravée sur la pierre par le doigt de Dieu23, se substitue une loi humaine, inscrite par la nouvelle divinité qu'est l'Homme.

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   La Pentecôte inaugure « les derniers temps, le temps de l’Église, le Royaume déjà hérité, mais pas encore consommé »24. Ce que vise le mondialisme, c'est ce que Francis Fukuyama appelait la fin de l'Histoire, c'est-à-dire le triomphe définitif de la démocratie et du libéralisme. Ces deux royaumes finauxentretiennent un véritable antagonisme. Le royaume libéral est celui de l'argent-roi etde la monétisation intégrale. Le Royaume de Dieu est celui du don pur25. Soit le monde de l'amour conjugal, maternel et paternel contre celui de la prostitution généralisée et de la gestation pour autrui...

 

   L'Église catholique face à la tentation mondialiste

   Le pape Benoît XVI souhaite dans son encyclique Caritas in Veritate la mise en place d' « une véritable Autorité politique mondiale »26 Il précise que cette autorité devra « se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité », mais en même temps « jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits » et « posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties »27. On peine à comprendre : comment un pouvoir peut-il être à la fois interventionniste et respectueux de la subsidiarité ? Ce que le pape appelle de ses vœux ne ressemble-t-il pas à l'avènement de la quadrature du cercle ?

   De son côté le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, rédigé par le Conseil Pontifical « Justice et Paix », souligne la nécessité au § 441 « la nécessité d'instituer une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d'une puissance efficace, susceptible d'assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits ». Le paragraphe se clôt sur la phrase suivante, inspirée d'un discours de Jean-Paul II : « Il est essentiel que cette autorité soit le fruit d'un accord et non d'une imposition, et qu'elle ne soit pas comprise comme un super-État mondial ». Même si l'on ne voit pas quelle forme prendrait une telle autorité, la position anti-mondialiste a ici le mérite d'être clairement exprimée.

   Mais le même Conseil Pontifical Justice et Paix publie en octobre 2011 une note qui fait parler d'elle : Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle. Ce document appelle, tout comme ceux précédemment cités, à « constituer une Autorité politique mondiale ». Mais ici, c'est bien « l’instauration d’un Gouvernement mondial » qui se trouve visé. « Cette transformation s’effectuera au prix d’un transfert, graduel et équilibré, d’une partie des attributions nationales à une Autorité mondiale et aux Autorités régionales ». Malgré la présence des adjectifs « graduel et équilibré », qui se veulent rassurants, c'est bien le principe de subsidiarité qui se trouve ici mis à mal. Au lendemain de sa parution, le document fait du bruit. Selon certaines sources, le cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone réunit en urgence un sommet dont voici la conclusion : désormais, tous les écrits de la Curie devront être soumis à la Secrétairerie d’État avant publication. En attendant, la note de Justice et Paix n'a fait l'objet d'aucune révocation officielle. On peut toujours la lire sur le site du Vatican...

   Comme on peut le voir, l'enseignement de l’Église ne se signale pas par sa clarté sur la question du mondialisme. Et pourtant, il y va de sa fidélité à l'événement majeur que constitue la Pentecôte. Il ne s'agit certainement pas ici d'une simple question de forme du pouvoir, qui pourrait être telle ou telle. Ce qui se joue ici, c'est l'acceptation ou le refus d'entrer dans la dynamique de vie trinitaire que Dieu propose à la communauté humaine.

 

1Chapitre 11

2Notamment par le sacrement de la Confirmation, Cf. Catéchisme de l’Église catholique, § 1288.

3Lire à ce sujet les excellentes analyses de Pierre Hillard, docteur en sciences politiques et auteur de nombreux ouvrages sur la question.

4Actes 2, 5.

5Genèse 11, 4.

6Isaïe 14, 13.

7Actes 2, 21.

8Actes 2, 38.

9Genèse 11, 4.

10Catéchisme de l’Église catholique, § 732.

11Actes 2, 6

12Genèse 11, 6.

13Genèse 11, 8.

14C'est vraisemblablement pour cette raison que l'homme et la femme, quand ils n'ont pas des mœurs dégénérées, s'unissent l'un à l'autre face-à-face. La présence devant l'époux du visage de son épouse lui rappelle qu'au moment même où leurs deux corps sont le plus intimement entrelacés, elle demeure une identité, une altérité qu'il ne peut réduire à lui-même. Et réciproquement.

15Genèse 11, 3.

161 Pierre 2, 5.

17Cf. Exode 20, 25 ; Deutéronome 27, 6.

181 Rois 18, 31.

19Il s'agit là d'une question débattue. Il est certain que les pierres ayant servi à la construction du temple n'ont pas été taillées sur place. Cf. à ce sujet 1 Rois 6, 7. L'adjectif ἀκρότομος utilisé dans ce verset n'a pas un sens évident. Les dictionnaires ne sont ici d'aucune aide. Les traductions proposées divergent : « pierre brute » selon la Nouvelle Bible Segond, « préparée en carrière » selon la Traduction Œcuménique de la Bible. Certains Pères de l'Eglise, comme Théodoret de Cyr, pensent que le temple était fait de pierres non-taillées : cf. CEILLIER, Rémy, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, tome 14,Paris, Veuve D. A. Pierres, 1767,p. 60.

20Catéchisme de l’Église catholique, § 726, § 767, § 1076.

21Cf. l'article « mondialisme » sur Wikipédia, où le lien entre mondialisme et Droits de l'Homme est explicite.

22Exode 31, 18.

23Ibidem.

24Catéchisme de l’Église catholique, § 732.

25Catéchisme de l’Église catholique, § 733.

26Caritas in Veritate, § 67. Expression soulignée dans le document.

27Ibidem.

11/06/2014

Enigme romane

 

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   La fresque que l'on entrevoit ici se situe dans l'église romane de Brancion. Vous aussi, vous vous demandez qui est ce personnage, avec toutes ces petits bonshommes qu'il tient dans un drap ? Eh bien, on l'identifie à Abraham.

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Avouons que ce type de représentation, quoique traditionnel (cf. ci-dessus, à Saint-Omer), a de quoi surprendre... à tel point que le site sur lequel la photo de la fresque a été trouvée affirme que cette fresque illustre « la pesée des âmes » ! Une telle interprétation s'explique aisément : le thème de la pesée des âmes figure déjà dans la religion de l'Egypte ancienne, et le portail du Jugement dernier de Notre-Dame de Paris l'illustre également (cf photo ci-dessous).

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Mais il s'agit ici d'une fausse piste. On ne voit pas trop le sens que pourrait prendre une pesée collective des âmes dans le cadre d'une religion qui enseigne qu'après sa mort, l'homme est jugé de manière individuelle. Car notez bien que sur chaque plateau de la balance représentée à Notre-Dame, on n'aperçoit qu'un seul individu. Alors qu'une multitude de personnes a l'air de se blottir dans cette espèce de linge tendu par le patriarche. Il faut donc enquêter dans une autre direction...

   Si l'on cherche un peu à quel épisode biblique cette fresque peut faire référence, on pense bien vite à la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc 16, 19–31). Saint Luc nous précise qu'après leur mort respective, le mauvais riche, « en proie aux tourments », voit « de loin Abraham, et Lazare dans son sein » (Luc 16, 23). À y regarder un peu vite, le rapport entre la fresque et le texte paraît superficiel : quel rapport entre un sein et un drap ? Eh bien, le mot grec utilisé dans l'évangile est κόλπος, que l'on peut traduire à la fois par « poitrine » et par « pli du vêtement ». On relève la même ambiguïté avec le terme latin « sinus », que saint Jérôme emploie dans la Vulgate à cet endroit. Nous comprenons « sein » là où nos ancêtres entendaient « pli du vêtement ». Qui a raison ? Difficile à dire...En tout cas, les artistes romans, à partir du cas du pauvre Lazare, ont considéré cette image du vêtement dans lequel on peut se blottir comme une représentation adéquate de l'éternité bienheureuse.