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09/05/2011

La ténèbre éclairante

Comment le mystère trinitaire explique l'homme à l'homme

  trinite-andrei-roublev-moscou-1411.thumbnail.jpg « Un seul Dieu, trois personnes » : formule archi-connue des chrétiens, mais qui souvent gêne. Nous nous trouvons facilement mal à l'aise devant cette réalité mystérieuse, dont le sens nous demeure caché. Et ce malaise face au cœur obscur de notre foi pourrait s'exprimer ainsi : « au fait, un Dieu unique en trois personnes, à quoi cela sert-il ? » Et pourtant, il y a fort à parier que lorsque Dieu prend la peine de nous révéler qu'il est à la fois un et trine, réalité qui échappe à notre compréhension, il n'a pas l'intention d'inhiber notre intelligence, mais bien plutôt de la stimuler.

   « Agere sequitur esse », « l'agir suit l'être », déclare saint Thomas d'Aquin : nous agissons en fonction de ce que nous sommes, et notre nature se révèle dans nos actes. Si la Trinité ne fait pas exception à cette règle, rien n'empêche donc d'entrevoir des indices du trinitaire dans l'action divine. Et de fait, dès le premier chapitre de la Genèse, le lecteur se trouve face à un Dieu qui crée l'être humain « à son image », en distinguant l'homme de la femme (v. 27), puis affirme quelques versets plus loin que l'homme s'attache à la femme et qu'ils deviennent une seule chair (2, 24). Comme pour la Trinité, se pose alors la question suivante : si l'unité de l'humain constitue le but recherché par Dieu, à quoi sert l'étape intermédiaire de la distinction entre un genre masculin et un genre féminin ? Pourquoi n'avoir pas façonné d'emblée un humain selon un schéma unique, « tout-en-un » et autosuffisant, comme le suggère Aristophane dans le Banquet de Platon (189d-193a) ? La réponse nous est fournie par notre foi en l'unité divine dans la distinction des personnes trinitaires : homme et femme « sont, précisément dans leur complémentarité et réciprocité, l'image de l'Amour trinitaire dans l'univers créé », affirme le Compendium de la Doctrine sociale de l'Église (§ 46). De manière très significative, le même document définit la complémentarité entre les deux sexes comme une « unidualité » (§ 147), ce terme faisant de toute évidence écho à celui de « trinité ».

   Ce rapport d'une icône à son modèle, un parallélisme textuel saisissant semble permettre de le préciser : de même qu'Ève est définie par Adam comme l'os de ses os et la chair de sa chair (ὀστοῦν ἐκ τῶν ὀστέων μου καὶ σὰρξ ἐκ τῆς σαρκός μου, Genèse, 2, 23), de même le Fils est « Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (φῶς ἐκ φωτός, Θεὸν ἀληθινὸν ἐκ Θεοῦ ἀληθινοῦ), ainsi que le déclare le Symbole de Nicée-Constantinople ; la femme serait donc à l'homme ce que le Fils est à son Père. Et comme l'Esprit Saint « procède du Père et du Fils », dont il est la relation d'amour subsistante, ainsi l'enfant naît de l'homme et de la femme qui s'aiment, visage de leurs deux visages devenus un seul en lui.

   Ce rapport de ressemblance entre famille divine et famille humaine s'articule autour d'une réalité bien précise, celle de la personne. Historiquement, la notion de personne a d'ailleurs pris son essor dans le monde occidental, dans le cadre de la réflexion théologique sur les rapports entretenus par le Père, le Fils et le Saint-Esprit. L'affirmation du respect dû à la personne humaine s'ancre donc avant tout dans le fait qu'elle soit créée à l'image de Dieu : la divinité n'écrase pas la personne humaine, mais la fonde en dignité. Cette dignité ne nous est pas donnée une fois pour toutes, mais doit faire l'objet de l'attention de chacun : « l'image et la ressemblance du Dieu trinitaire sont la racine de tout l'“ethos” humain... dont le commandement de l'amour est le sommet. [...] Ce modèle d'unité suprême, reflet de la vie intime de Dieu un en trois personnes, est ce que nous chrétiens désignons par le mot “communion” »1. On l'a vu, cette communion n'est ni unité d'indistinction (il y a bien trois personnes en Dieu), ni éclatement (il n'y a qu'un seul Dieu, et non trois). Nous retrouvons ce rapport de distinction dans l'unité, clé du mystère trinitaire, à tous les niveaux de la société humaine, véritable structure fractale à cet égard. Le tableau ci-dessous, évidemment non exhaustif, en donne un aperçu, ainsi que des erreurs qui surgissent et blessent personne et famille2 humaine lorsqu'il est fait violence à ce rapport, soit par indistinction, soit par éclatement.

 

distinction dans l'unité

unité d'indistinction

éclatement

 Théologie

 Trinité

négation des trois personnes divines (Islam...)

 polythéisme

 

 Ordre international

« équilibre entre particularité et universalité, que toutes les nations sont appelées à réaliser »3

 

 Nouvel Ordre Mondial

 

nationalismes exacerbés

 Sphère économique

destination universelle des biens et propriété privée4

 communisme

capitalisme sans limites

Société humaine

« communion interpersonnelle »5

absolutisation de la communauté

individualisme

Relations homme-femme

complémentarité

théorie du Gender

machisme et féminismes agressifs

Famille

un homme, une femme, un ou des enfants

homoparentalité

monoparentalité, divorce

   Les réflexions qui précèdent nous laissent entrevoir que si le mystère trinitaire échappe à notre compréhension, ce n'est pas par défaut, mais par excès d'intelligibilité : autant ce mystère demeure entier, autant il éclaire tout ce qui se situe à l'extérieur de lui, à commencer par l'homme. Telle est la Sainte Trinité, soleil que l'on ne peut contempler en face, mais qui illumine l'ensemble de la Création, non pas ovni conceptuel planant à des années-lumières au-dessus de notre quotidien, mais son cœur même et sa pulsation la plus intime, origine, fin et centre de l'homme et de l'anthropologie chrétienne.

1Compendium de la Doctrine de l'Église, § 33.

2Le mot "famille" est ici employé au sens strict comme au sens large.

3Op. cit., § 157.

4Idem, § 176-181.

5Idem, § 33.

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