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01/08/2011

Leçons de chair

Sortir de la gnose

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Histoire de côtes

   Ne vous êtes-vous jamais demandé : « qu'est-ce qui empêche l’Église d'ordonner des femmes prêtres(ses) ? Certes, le prêtre tient la place du Christ, et le Christ était un homme, mais n'est-ce pas contingent ? Après tout, il aurait pu naître femme... ». Un parallélisme scripturaire nous renseigne sur le sujet. En grec, la côte et le côté sont désignés par un même mot, πλευρά. « Belle affaire », répondrez-vous peut-être. Oui, mais voilà : c'est du même endroit du corps, de cette côte ou de ce côté, de cette πλευρά, que naît Ève pendant le sommeil d'Adam1, et que jaillissent le sang et l'eau lors de la crucifixion2. Si bien qu'il existe un véritable lien entre les deux situations : « c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né ‘l’admirable sacrement de l’Église tout entière’ »3. Il n'est pas indifférent que cet épisode de la crucifixion ait un rapport étroit avec celui de la distinction des sexes. Dans les deux cas, une réalité d'ordre sponsal est engagée : le Christ, « nouvel Adam »4, est l’Époux de l’Église5, avec toute sa masculinité. C'est donc avec toute leur masculinité aussi, quoique de manière mystérieuse, que les prêtres tiennent la place du Christ-Époux.

Quand le nom d'un démagogue change la donne

   Ce débat sur la possibilité ou l'impossibilité de femmes ordonnées dans l’Église révèle combien même nous, catholiques, avons du mal à penser l'Incarnation. Parce ce que l’Église est le corps du Christ, et que ce corps est universel (c'est la signification du terme « catholique »), nous en inférons à tort et souvent inconsciemment que l'humanité du Christ est indifférenciée. Il s'agit sûrement là d'une pente naturelle de l'esprit humain, et Jésus sait en tenir compte et trouver des accommodements, lui qui envoie sa Mère apparaître à Juan Diego sous les traits d'une mexicaine. Mais le souci d'inculturation de l’Évangile ne doit pas nous faire oublier que Dieu s'est fait homme et non femme, sémite et non scandinave, juif et non polythéiste, et qu'il a été crucifié à un moment précis de l'Histoire, sub Pontio Pilato. Ces trois mots résument à eux seuls la prétention inouïe de la religion chrétienne, celle d'annoncer un Dieu qui se manifeste non pas en dehors de l'Histoire, dans un no man's land mythologique, mais bien à une date précise de notre temps et dans un pays peuplé d'hommes. Et paradoxalement, le salut n'est pas devenu universel en dépit de cette descente de Dieu dans le particulier, mais bien en raison de celle-ci. Paul le déclare de manière magnifique : Dieu « s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes [...] afin que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père »6.

Leçons de gnose : sortir de la chair

   La tentation de refuser la réalité de l'Incarnation n'est pas neuve. On la trouve dès le début du christianisme, avec les premières hérésies, qui « ont moins nié la divinité du Christ que son humanité vraie »7. Parmi elles sévit le « docétisme gnostique »8, « qui professait que le corps du Christ n'avait été que pure apparence, et qui niait la réalité de sa Passion et de sa mort »9. Une telle idée repose sur l'idée sous-jacente que « le monde (au moins le monde matériel) serait mauvais, produit d’une déchéance, et donc à rejeter ou à dépasser (gnose) »10, ce rejet ou ce dépassement s'accomplissant nécessairement par la libération de la matière. Or, nous assistons aujourd'hui à un retour en force de la gnose, dont l'influence sur la culture se fait palpable depuis quelques années, notamment par le biais du cinéma. Vous savez, tous ces films, passionnants par ailleurs, qui nous répètent que le monde n'est pas le monde, mais un faux-semblant de monde dont il faut s'échapper ? Coïncidence intéressante, l'un des deux frères Wachowski, les créateurs de Matrix, s'habille en femme11. Eh oui, que voulez-vous, la chair ne compte pas et les décisions de l'esprit sont souveraines...

Réincarnation et désincarnations

   Derrière les phénomènes extrêmement divers que sont la revendication du sacerdoce catholique pour les femmes, la fascination croissante de l'Occident pour des doctrines orientales telles que celles de la réincarnation (mouvements New Age), et la vogue de la chirurgie esthétique, se trouve présente, quoique à des degrés différents, une seule et même idée : la chair est un piège qui nous détermine et nous limite dans notre identité, mais elle ne constitue pas notre identité ; elle en est au mieux le véhicule, au pire la prison ; et notre identité elle-même n'est que ce que nous voulons être, à chaque instant12. Accumuler toutes les expériences possibles, être tout à la fois, épuiser à soi seul la totalité du réel... Plus que jamais nous recherchons notre salut dans un nomadisme intégral, qui vide l'homme de sa substance, le coupe de toute racine et le malmène corps et âme.

Nous voulons être :

-femmes quand nous sommes hommes (ou inversement)

(gender et transsexualisme)

-le conjoint ou copain de Bidule quand nous sommes celui de Machine (ou inversement...:-)

 

(refus de s'engager, divorce)

-une famille quand nous n'en sommes pas une

(« mariage » homo + adoption)

-sans enfants quand nous faisons tout pour en avoir

(contraception et avortement)

-Israéliens quand nous sommes Français (par exemple)

(cosmopolitisme exacerbé des élites13)

-blancs quand nous sommes noirs (ou inversement)

(syndrome Michael Jackson)

-en contact avec la terre entière, mais avec personne en particulier

(fragmentation de l'identité en pseudos électroniques)

 

   Liste non exhaustive, mais vous aurez compris ! À vouloir être tout, on devient surtout n'importe quoi. À vouloir rester l'être de tous les possibles, on ne l'est plus d'aucun réel. À vouloir être le mari de toutes les femmes possibles, on ne l'est plus d'aucune femme réelle (syndrome Dom Juan). Et inversement ! Jésus ne déclare-t-il pas à la Samaritaine : « tu as bien fait de dire : je n'ai pas de mari, car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari ; en cela tu dis vrai »14 ?

Accueillir la chair ou la planifier : entre autotélicité et vocation

   Tous nos maux procèdent de notre volonté de bâtir un royaume à partir de nos propres caprices. Nous reproduisons à l'échelle individuelle l'erreur que d'autres ont commise à l'échelle des sociétés : Hitler et Staline ont voulu apporter au monde leur paradis, et ce qui est advenu ressemblait plutôt à l'enfer. Mais pourquoi toute programmation d'un paradis terrestre débouche-t-elle sur le meurtre de masse ? Parce que depuis l'Incarnation, le Royaume n'est pas à planifier, mais à accueillir. « Le Royaume de Dieu est avant nous. Il s’est approché dans le Verbe incarné, il est annoncé à travers tout l’Évangile, il est venu dans la mort et la Résurrection du Christ. »15 Avec la venue de Dieu dans la chair un jour du temps, l'unique salut est entré dans l'Histoire, et avec lui la possibilité et l'obligation pour tout homme de l'accueillir ou non : nul ne peut rester neutre devant l'appel qui lui est lancé. Toute tentative de construire un salut par l'Histoire, de planifier à partir de fantasmes le processus mécanique de son avènement, est donc vouée à l'échec et à l'atrocité, car elle présuppose la négation de cette vocation. Ce qui explique pourquoi l'organisation la plus meurtrière au monde s'appelle le Planning Familial.

Réapprendre à habiter l'hic et nunc

   C'est donc Dieu, sauveur universel par sa descente dans le particulier, d'abord dans un peuple historiquement défini, puis dans une chair déterminée, qu'il nous faut imiter pour devenir pleinement membres du corps du Christ. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le membre de l’Église universelle ne peut participer à cette catholicité sans un engagement d'abord local, sur son propre lieu de vie. Il n'est pas indifférent que le Christ ait parlé d'aimer « son prochain » et non « son lointain ». Sur le plan politique, cela signifie aussi qu'un projet de diffusion de la culture de vie à grande échelle a peu de chances d'aboutir sans des engagements locaux préalables. Le titre d'un documentaire récent, trop peu relayé par la critique catholique de droite16, résume très exactement l'enjeu actuel : il s'agit de l'excellent Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau. On y (re)découvre qu'il existe une agriculture de mort17, qui consiste à tuer les sols pour y cultiver en masse et de manière aseptisée des végétaux malades qui finissent dans notre assiette. Face à cet immense désastre écologique et sanitaire, de petits groupes d'agriculteurs œuvrent pour « ressusciter » les terres à l'aide de bois raméal fragmenté, propager des semences non-hybrides, et donc reproductibles de manière viable, aujourd'hui interdites par la loi, mais aussi vendre leurs produits « bios » sur place, à des particuliers partageant le risque de la récolte18. À visionner et faire connaître...

Sortons de l'apesanteur gnostique. Réinvestissons la chair. Ressuscitons nos sols. « Si le détachement d’endroits et de communautés particulières a contribué à la dépersonnalisation de l’économie mondiale, alors une esthétique adéquate du particulier devrait remettre la personne humaine au centre des relations économiques, comme Jean Paul II n’a cessé de le répéter. [...] Car ce n’est que dans la rencontre de l’autre que le Christ peut être rencontré, dans le concret et non dans l’abstrait, et c’est seulement par l’attachement au – et non le détachement du – concret que le Christ est rencontré. »19

1 cf. Genèse 2, 21-22

2 cf. Jean 19, 34

3 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 1067.

4 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 411.

5 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 796.

6 Philippiens 2, 6-11.

7 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 465.

8 Ibid.

9 Dictionnaire Larousse, entrée « docétisme ». Le mot « docétisme » vient du verbe grec δοκεῖν, « sembler ».

10 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 285.

11 Cf. à ce sujet le documentaire Hollywood's war on God : the gnostic influence, très instructif malgré quelques exagérations. Y figurent des analyses détaillées de Matrix, The Truman Show, V pour Vendetta, Eyes wide shut, etc... ainsi que des interviews de producteurs qui ne font pas mystère de leur foi gnostique.

12 Notez bien la contradiction, car l'identité suppose la permanence, le fait d'être le même (id-ens).

13 Remarque significative : selon le mondialiste Jacques Attali, l'une des vertus du survivant aux crises serait l'ubiquité, soit la capacité à changer du jour au lendemain de personnalité (Cf. son livre Survivre aux crises). Le nomadisme qu'il défend n'est donc pas seulement géographique.

14 Jean 4, 17-18

15 Catéchisme de l'Eglise catholique, § 2816.

16 Il est urgent de prendre conscience que la culture de mort ne se borne pas au massacre des enfants à naître, même si ce dernier demeure le scandale n°1 dans nos pays. Cette culture touche tous les domaines du réel, tant économiques que sociaux, sanitaires ou artistiques. Agir même localement implique une prise en compte de cet ensemble et la sortie du schéma « défense de l'embryon à droite et du travailleur exploité à gauche ». Ce sont différents combats d'une même guerre.

17 Le terme n'est pas exagéré, comme en témoigne l'actuelle vague de suicides des paysans indiens, acculés à la misère par la Révolution verte.

18 Cette dernière pratique, mise aussi en œuvre par des réseaux chrétiens aux États-Unis, a fait l'objet d'une analyse remarquable par le théologien William Cavanaugh dans son ouvrage Être consommé. On peut la consulter ici.

19 CAVANAUGH, William, Etre consommé – Une critique chrétienne du consumérisme, éditions de L’Homme nouveau, p. 143-144.

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