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11/04/2011

Petite apologie catholique de l'athéisme

    "Eh bien, moi, voyez-vous, je suis athée." Affirmation courante, mais que recouvre-t-elle exactement ? Si les réponses sont variées, des constantes se dégagent. Voyons cela de plus près...

   L'immense majorité des gens qui s'affirment sérieusement athées invoquent pour se justifier soit les "scandales" de l'Église, passés (Inquisition, croisades...) ou présents (pédophilie du clergé, richesses du Vatican...), soit un traumatisme personnel tel que la mort d'un proche. Très souvent tout cela à la fois, dans le désordre et avec un argumentaire limité. En creusant un peu, l'on s'aperçoit vite que chez nombre d'entre eux, l'athéisme affiché n'est en son fond motivé par rien d'autre que par un refus de la morale proposée par l'Église. Une majorité d'"athées", aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne s'embarrasse en fait pas de savoir si Dieu existe ou non. Le pape condamne le préservatif, l'avortement, la contraception ? Voilà qui résout le problème : Dieu n'existe pas ! Il s'agit ici moins d'un athéisme que d'un antithéisme. Une déclaration peut en cacher une autre, et derrière le fameux "Dieu n'existe pas", une oreille attentive entend : "il ne faut pas que Dieu existe." L'athéisme ainsi vécu, c'est une histoire de sexe qui cherche à se déguiser en histoire de concept. Il est à la fois immensément cocasse et tragique de voir des personnes incapables de maîtriser leurs pulsions primaires, ce qui n'est possible qu'avec l'aide de Dieu, prendre des airs de philosophe pour vous déclarer : "eh bien, moi, voyez-vous, je suis athée." Une telle attitude n'a rien d'intelligent, elle relève de la pure volonté.

   Mais passons à une autre catégorie d'athées, celle qui possède des motifs rationnels d'incroyance. Le saviez-vous ? C'est dans les manuels d'apologétique du XIXème siècle, rédigés par des ecclésiastiques, que se lisent les arguments les plus redoutables contre l'existence de Dieu, suivis de leur réfutation. Autrement dit, l'athée, s'il espère obtenir un minimum de crédibilité, n'a d'autre solution que de se faire théologien. Car comme son nom l'indique, la pensée athée est fondamentalement théocentrique. Les athées militants s'arc-boutent bien contre le concept de Dieu, mais pas autrement qu'en s'appuyant dessus, nous offrant ainsi une variante intéressante du plus vieux gag...

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   Qu'ils la remercient donc, cette divinité à laquelle il doivent leur existence en tant qu'athées ! Il n'y a là rien de compliqué ! Ils leur suffirait pour ce faire de répéter, mais avec une intention différente, leur fameuse blague : "je suis athée, Dieu merci". Car s'ils n'avaient pas Dieu, autour de quel centre, affirmé ou nié, leur architecture mentale s'organiserait-elle ? L'athée intellectuel démontre ainsi, de la manière la plus éclatante qui soit, la nécessité d'un concept de Dieu. Car ce qui frappe d'emblée chez lui, c'est son incapacité à définir une vision positive du monde : tout est "contre". Quant aux raisonnements qu'il prétend avancer contre l'existence de Dieu, les manuels d'apologétique mentionnés, écrits il y a plus d'un siècle, suffiraient à les balayer. Tous les systèmes d'alors, dont les systèmes actuels s'inspirent, y ont été passés au peigne fin. Mais il ne se trouve plus que des séminaristes pour lire ces vieux bouquins, preuve de ce que les prétendus athées intellectuels ont encore du chemin à faire dans leur démarche, ou de ce qu'ils ne recherchent pas la vérité, mais de "bonnes raisons". Ce qui les fait ipso facto basculer dans la première catégorie, celle des athées volontaires. Au moment d'achever la présentation de cette deuxième catégorie, une double conclusion s'impose : 1) l'athée intellectuel est un être de raison, il possède des motifs rationnels d'incroyance ; 2) l'athée intellectuel est un être de raison, il n'existe pas.

   Entre une catégorie qui se moque de savoir si Dieu existe ou non et une catégorie fantôme, qui reste-t-il pour sauver l'athéisme ?

   Ce qui stupéfia le monde entier, lorsque Pompée prit la liberté d'entrer l'épée à la main dans la partie la plus sacrée du temple de Jérusalem, c'est d'apprendre, nous dit Tacite, "que l'image d'aucune divinité ne remplissait le vide de ces lieux, et que cette mystérieuse enceinte ne cachait rien"1. Les Juifs acquirent alors pour plusieurs décennies une solide réputation d'athéisme, qu'il partagèrent ensuite avec les premiers Chrétiens. Sous Domitien, certains d'entre eux "furent accusés d'athéisme, accusation qui fit condamner également beaucoup d'autres personnes convaincues de s'être laissées entraînées aux coutumes des Juifs", raconte Dion Cassius2. Au deuxième siècle, Saint Justin écrivit sa première Apologie des Chrétiens pour répondre à des accusations d'athéisme. Au quatrième siècle, l'empereur Julien enrageait de ce que "les serviteurs, les enfants et les femmes des Galiléens insultent les dieux en substituant l'impiété au culte qui leur est dû"3. Dans l'Histoire de l'Occident, le premier mouvement d'ampleur dénoncé comme athéisme se trouve donc être le judéo-christianisme.

   Ce petit détour historique nous en fournit un indice : n'en déplaise à ceux qui se veulent athées purs et durs, l'athéisme comme conviction absolue n'existe pas, et même s'il existait, il ne serait qu'une religion de plus. Il ne peut être que relatif. Nous sommes tous athées et nous sommes tous croyants. Il ne s'agit donc pas de se demander si l'on est athée ou non, mais de s'examiner pour savoir de quel dieu l'on est athée. Et corrélativement, de quel dieu l'on est croyant. Pour la foule de ceux qui refusent d'aller vers l'Église par refus délibéré de la morale sexuelle qu'elle propose, la réponse donnée il y a deux mille ans par Saint Paul demeure limpide : "leur dieu, c'est leur ventre" (Phil. 3, 19). Entendons-nous : si l'athéisme, c'est ne servir aucun dieu, les catholiques ne sont pas athées parce que personne n'est athée. Mais si l'athéisme, c'est refuser de sacrifier à l'empereur, de se prosterner devant les idoles ego, fric, sexe, star-system & Cie, "athées, oui certes, nous le sommes devant de pareils dieux, mais non pas devant le Dieu de vérité, le père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l'être de perfection infinie."4

1Tacite, Histoires, V, 9, 1.

2Dion Cassius, Histoire romaine, LXVII, 14, 2.

3Julien, Lettre XLIX.

4Saint Justin, Première Apologie des Chrétiens, 1, 6.