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01/11/2017

Doctrine et pastorale, quelle articulation ?

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   Une question universellement partagée

   « Étant entendu que l’on ne doit pas attendre de ce synode des modifications de la doctrine, il convient de dire avec beaucoup de clarté que ce synode ne se réunit pas pour ne rien dire. Ce n’est pas un synode doctrinal, mais un synode pastoral. » Voilà en quels termes s'exprimait il y a maintenant deux ans Mgr Bruno Forte, à l'occasion du synode sur la famille, qui a eu le corollaire que l'on sait (Amoris Laetitia et sa très problématique note de bas de page 351). Comme le faisait remarquer Thibaud Collin à l'époque, cette déclaration invite à se pencher sur l'articulation entre doctrine et pastorale. Et ce philosophe de déplorer un an et demi plus tard (à propos d'Amoris Laetitia) que « la notion de discernement est utilisée pour contourner la doctrine des actes intrinsèquement mauvais rappelée dans Veritatis splendor. » Plus récemment, Mgr Fellay, l'un des signataires de la courageuse Correction Filiale, rappelait : « L’enseignement du Christ sur le mariage ne peut être subrepticement changé, au prétexte que les temps changent et que la pastorale doit s’y adapter, en donnant des moyens de contourner la doctrine. »

   À l'autre bout de l'échiquier catholique, on constate des préoccupations semblables sur les rapports qu'entretiennent doctrine et pastorale. Voici ce qu'affirmait en 2014 le Cardinal Kasper, toujours à propos de l'accès à la communion des divorcés-remariés : « Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation semblable à celle du dernier concile. Déjà à ce moment-là, il y avait, par exemple à propos de la question de l’œcuménisme ou de celle de la liberté de religion, des encycliques et des décisions du Saint-Office qui paraissaient exclure d’autres voies. Le concile, sans violer la tradition dogmatique contraignante, a ouvert des portes. On peut se demander s’il n’y a pas également, pour la question dont nous parlons, la possibilité d’un nouveau développement. » Ces propos avaient valu au cardinal les plus vifs applaudissements du pape François.

   Tout le monde semble donc admettre, soit pour s'en féliciter, soit pour le déplorer, qu'un écart est en train de se creuser entre doctrine et pastorale. Comment penser l'articulation de ces deux niveaux ?

   Le maître-mot : l'incarnation

   Nous savons que Dieu est la Vérité éternelle parce qu'il est le Verbe créateur (CEC 216). En effet, la vérité ne constitue rien d'autre que l'adéquation de l'intelligence et du réel, adaequatio intellectus et rei, comme le dit saint Thomas d'Aquin. Et précisément, c'est en Dieu que ce rapport d'adéquation se réalise dans toute sa plénitude : « Il parla, et ce qu'il dit exista ; il commanda, et ce qu'il dit survint » (Psaume 32, 9). Et quand cette vérité s'incarne, elle ne cesse pas pour autant d'être vérité, ainsi que Jésus-Christ nous le rappelle dans cette définition de lui-même : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » (Jean 14, 6). En revanche, il existe bel et bien une nouveauté suscitée par l'incarnation : la vérité se fait pasteur. « Je suis le bon berger », nous dit Jésus (Jean 10, 14). Notez bien qu'à aucun endroit de l'Ancien Testament, le Verbe non encore incarné ne se désigne comme pasteur, sauf au futur, pour annoncer que Jésus sera le bon berger (voir par exemple Ezéchiel 34, 11-12). Il s'agit donc bien d'une caractéristique propre au Dieu fait homme. Et pourtant, il y a bien identité de personne entre le Verbe éternel et l'homme Jésus-Christ. Autre fait remarquable : Jésus ne se désigne pas comme « le berger », mais comme « le bon berger ». Sous-entendu : méfiez-vous, il y a aussi des mauvais pasteurs…

   De manière analogue, la vérité dogmatique, doctrinale, ne s'incarne pas ailleurs que dans la pastorale. La pastorale, c'est tout simplement la doctrine faite chair. Et de même que Jésus peut se dire le bon berger parce qu'il est la vérité incarnée, de même la bonne pastorale constitue forcément l'incarnation de la vérité dogmatique. Il faut donc en tirer la conclusion qui s'impose : il ne peut pas y avoir d'écart entre le niveau spéculatif et le niveau pratique, entre la bonne doctrine et la bonne pastorale. De même que le Christ n'est qu'une seule personne humaine et divine à la fois, de même la vérité catholique est une, quoiqu'à deux niveaux différents, le niveau doctrinal et le niveau pastoral. Et de même que vouloir crucifier Jésus, c'est vouloir crucifier Dieu lui-même, de même bidouiller la pastorale, c'est déjà bidouiller la doctrine. Car c'est déjà toucher à la vérité. Prétendre modifier la pastorale dans une de ses composantes essentielles (en l'occurrence, la sainte communion) tout en protestant ne pas vouloir modifier la doctrine n'est donc rien d'autre qu'un odieux mensonge. Contrairement à ce qu'affirme le Cardinal Kasper (applaudi, rappelons-le, par François), si vraiment le concile a pu ouvrir des portes, il n'a pas pu le faire sans violer la tradition dogmatique contraignante…

   Dans le paragraphe 84 de Familiaris Consortio, Jean-Paul II laisse ainsi clairement entendre que le non accès à la communion eucharistique des personnes divorcées et remariées constitue l'incarnation d'une doctrine bien précise, celle de l'indissolubilité du mariage : « l’Église, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l’Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. […] Si l'on admettait ces personnes à l'Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l'indissolubilité du mariage. » Par conséquent, vouloir accorder la sainte communion à des personnes en état objectif d'adultère, c'est déjà attaquer la doctrine de l'indissolubilité du mariage chrétien et trahir l'enseignement du Christ sur le mariage. C'est pourtant ce que vient de faire Mgr Barbarin. En l'occurrence, cette trahison apparaît d'autant plus grave que tout l'épiscopat français ne manquera pas de suivre cet exemple pernicieux. Pensez donc ! Si même le très médiatique Primat des Gaules s'y met…

   L'obéissance du Christ au Père

  Conscients de l'adéquation qui doit exister entre doctrine et pastorale, certains rêvent d'aligner une doctrine perçue comme désormais inappropriée sur les situations pastorales concrètes, comme on dit si bien aujourd’hui. Voici un petit florilège, extrait de ce document sur le synode pour la famille :

   La conférence épiscopale suisse, après consultation des fidèles : « On est scandalisé que la doctrine officielle ne soit en mesure ni d’entrer en matière sur des conclusions tirées du vécu des gens ni de faire ainsi face aux inconsistances de la théologie du mariage et de la famille. » (p. 9)

   Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d'Oran : L’Église « assimile à un adultère toute autre relation après le divorce. Pour moi, ces mots sont terribles. Une doctrine vraie ne peut pas entrer en contradiction avec la vérité de personnes. » (p. 25)

   Le théologien Andra Grillo : « Le cas des fidèles divorcés remariés est, de ce point de vue, un enjeu sérieux qui s’avère aussi être le symptôme d’une difficulté : à savoir le signe d’une incapacité structurelle du langage doctrinal traditionnel à exercer une médiation efficace par rapport aux conditions du sujet et de la communauté familiale qui ont changé au cours des deux derniers siècles. » (p. 43)

  Alain Thomasset, jésuite (par pour rien, comme vous allez le voir) : « L’interprétation de la doctrine des actes dit “intrinsèquement mauvais” me paraît être l’une des sources fondamentales des difficultés actuelles de la pastorale des familles, car elle détermine en grande partie la condamnation de la contraception artificielle, celle des actes sexuels des divorcés remariés et celle des couples homosexuels même stables. Elle apparaît à beaucoup comme incompréhensible et semble pastoralement contreproductive. Si elle insiste avec raison sur des repères objectifs nécessaires à la vie morale, elle néglige précisément la dimension biographique de l’existence, et les conditions spécifiques de chaque parcours personnel, éléments auxquels nos contemporains sont très sensibles et qui participent aux conditions actuelles de réception d’une doctrine ecclésiale. » (p. 45-46)

   L'auteur du document : « L’important aujourd’hui est d’ouvrir la perspective pastorale, de promouvoir une pratique sacramentelle plus accueillante. Intellectuellement, cela implique nécessairement un changement de doctrine. Mais les choses se font souvent lentement. » (p. 91)

   Le même : « La prise en compte de la réalité présente dans nos sociétés demande qu’on repense la signification théologique et pastorale du sacrement de mariage. » (p. 92)

   Toutes ces revendications ne tiennent guère compte du fait que la pastorale est l'incarnation de la doctrine, et non l'inverse. Il existe donc clairement une supériorité hiérarchique de la doctrine sur la pastorale. En effet, de même que le Verbe incarné obéit au Père dont il vient faire la volonté (Luc 22, 42 ; Jean 6, 38), de même c'est la pastorale qui doit s'aligner sur la doctrine pour qu'elle puisse en demeurer l'incarnation. Le reste n'est que baratin.